Les catégories d’Aristote – séance 1 – la notion de « catégorie »

par - avril 13, 2023



    Être mis dans une catégorie c’est souvent perdre son identité propre, perdre ce qui fait de nous un être unique et irréductible à tous les autres, qu’ils soient de notre espèce ou non. Être catégorisé, ou le sujet d’une catégorisation, c’est souvent le fait, pour une liberté, d’être enfermée dans une classe dont elle ne peut se libérer aux yeux de celui ou de ceux qui la juge(nt). C’est, pour utiliser l’expression : « être réduit à sa catégorie ». De même, celui qui catégorise est souvent celui-là même qui classifie, qui trie, qui ordonne afin que l’ensemble qu’il considère soit homogène et parfaitement organisé. L’idée même de catégoriser apparaît donc suspecte à celui qui est soucieux des différences, de la diversité, de la complexité du réel ou des ensembles considérés. Pourtant, une telle critique masque, dans le même temps, le fait que les catégories semblent bien être constitutives de notre rapport aux choses. On peut bien mener une critique de celui qui catégorise sans aucun souci des termes particuliers qu’il manipule, cependant, il serait tout aussi faux de croire que nous sommes – du haut de notre critique – hors du domaine des catégories.
    En effet, sans catégorie, sans classe, sans concept (acceptons pour le moment d’identifier ces termes), pourrait-on même vivre quelque chose ? Une expérience quelconque ne nécessite-t-elle pas déjà une organisation rationnelle pour pouvoir être l’objet de nos jugements ? Se dire les choses, pouvoir se les exprimer, pouvoir faire sens, est la première et fondamentale condition pour qu’une expérience ait une réalité pour la conscience. C’est d’ailleurs la notion même d’expérience qui porte en elle cette tension entre altérité radicale et compréhension. En effet, faire l’expérience de quelque chose, c’est toujours faire l’expérience d’une différence, de quelque chose qui n’était pas présent en nous et pas compris dans nos concepts, c’est prendre la mesure de nouveaux éléments susceptibles de nous faire avancer ou progresser sur un quelconque sujet. Cependant, pour faire cette expérience, il faut aussi être capable de la vivre en première personne, d’en rendre raison, et de statuer sur ce qu’elle nous permet d’acquérir ; la notion même d’expérience invite à chercher une voie médiane entre la conceptualité pure et l’immédiateté, deux extrêmes qui nous mènent au même résultat : l’abstraction pure, l’indétermination radicale, ce qui, pour l’intelligence, s’apparente au contraire du réel. On est donc en droit de remettre en question cette suspicion à l’égard de la catégorie, comme si tout ce que nous produisons et ordonnons trahissait la réel, le vrai, qui échapperait à nos intelligences. Ce type de critiques est le fruit d’une position aussi dogmatique que celle qu’elle pense condamner, en cela qu’elle fait de l’irrationnel – de l’infra-rationnel – le lieu de la vérité et de l’absolu.
    Certes, lorsque nous parlons de celui qui catégorise nous l’imaginons comme quelqu’un qui fait la chasse aux singularités, aux spontanéités, qui cherche à soumettre toute la densité de nos vécus, de nos identités, aux calculs froids de l’organisation. Cette idée se retrouve d’ailleurs dans la définition même de la catégorie puisqu’en tant qu’elle est une classe, celui qui catégorise soumet le concret à l’un de ses prédicats – il fait ainsi entrer le multiple dans l’un. Pourtant, il ne faut pas être si radical dans notre critique des catégories, et il faut envisager la manière dont elles permettent d’exprimer et de comprendre le réel et sa complexité. En effet, même si nous savons que les mots, les signes, les significations et les concepts que nous avons à notre disposition pour exprimer le réel sont généraux et ne permettent pas par eux-mêmes d’atteindre la singularité, nous cherchons toujours à nous mettre au service de cette densité, de cette équivocité que nous visons. Si un unique mot ne rend jamais raison de ce dont on parle, si une généralité ne permet pas d’exprimer la particularité d’un être ou d’une situation, nous cherchons toujours à décrire, à préciser nos vécus, et ces précisions cherchent à rendre raison des détails et de la complexité du réel¹.

    Ces quelques réflexions suffisent à montrer que le problème de la catégorie, de la classification même, est moins dans l’opposition entre catégorie d’une part et absence de catégorie d’autre part, mais plutôt dans l’usage que nous faisons de ces catégories. Dans ce cours sur Les Catégories d’Aristote, nous voudrions montrer qu’à la différence des mots, des concepts, des significations, qui sont condamnés à être modifiés, à être réfutés, voire à disparaître, la catégorie semble être constitutive de notre rapport au monde, pour ne pas dire du monde lui-même. Pour avancer dans cette thèse, nous définirons schématiquement ce que nous entendons par catégorie avant d’en venir à la théorie aristotélicienne des catégories.

Qu’est-ce qu’une catégorie ?


    Si nous commençons par les définitions de nos dictionnaires, le Larousse définit la catégorie comme « un ensemble de choses de même nature », et le Robert précise « une classe dans laquelle on range des objets de même nature. » De prime abord, une catégorie est une classe qui rassemble des termes qui ont un élément en commun permettant de les réunir. Ceci explique le très grand usage du terme qui peut renvoyer autant à une catégorie sociale, à une catégorie d’âge dans un sport donné, à une catégorie grammaticale, etc. Mais pour mieux comprendre la nature précise de cette classe, il nous faut chercher à comprendre sa fonction et l’acte de l’esprit par lequel nous la produisons. En effet, la définition du Robert nous met sur la piste en insistant sur la voix active : la catégorie c’est un quelque chose par lequel nous classons des choses ; c’est donc de prime abord un objet intellectuel qui répond à une fonction précise de notre intelligence que nous nommons : catégoriser. Or lorsque nous catégorisons, nous classons des termes dans des classes qui correspondent à un domaine précis ; ainsi, si nous catégorisons cette personne socialement, nous la classons dans l’une des catégories qui constituent la réalité sociale. L’acte de catégoriser comprend alors en soi deux moments que nous devons préciser : classer des particuliers dans un genre (i) et diviser un domaine particulier en classes (ii). La catégorie est avant tout un objet intellectuel par lequel nous organisons et classifions un ensemble d’éléments compris dans un même genre selon des différences catégorielles.
    Pour comprendre la nature spécifique de la catégorie il nous faut la comparer au concept et à la manière dont l’esprit produit des concepts. Si nous partons de l’étymologie latine du terme, le concept vient de concipere qui signifie littéralement « recevoir, contenir ». Le concept est un objet intellectuel par lequel nous connaissons un objet particulier ou un domaine précis. Plus précisément, c’est une idée générale qui naît d’une abstraction et d’une réflexion sur un prédicat commun à plusieurs idées particulières. Le concept est donc le résultat d’une abstraction qui va du multiple vers l’un, de la différence à l'identité. Au contraire, la catégorie vient d’un acte de division d’un genre particulier, elle est donc le fruit d’une multiplication dans un domaine particulier. Ici, nous touchons à la première limite de la définition du Robert puisqu’au contraire du concept qui identifie un substrat pour en rendre raison, l’acte de l’esprit par lequel il produit des catégories est un acte de division qui structure et organise un domaine particulier. Davantage que l’attribution d’une classe à un terme particulier, le fait de catégoriser correspond d’abord à la division d’un domaine en classes discrètes.
    Ceci nous mène à la seconde différence entre le concept et la catégorie : en tant qu’il est l’objet d’une abstraction et d’une réflexion sur l’identité d’une chose, le concept permet la connaissance des particuliers qu’il subsume. Mais les catégories, plus que des objets de connaissance, sont plutôt des genres ou des domaines de la réalité que l’esprit questionne et réfléchit. Par exemple, un sociologue qui étudie les catégories socio-professionnelles produira des concepts, des hypothèses, des démonstrations, au sujet de ces catégories qu’il cherche à connaître. On peut donc dire qu’à la différence du concept qui identifie, la catégorie organise le multiple.
    Troisième différence : comme objet de connaissance un concept peut parfaitement être considéré en lui-même et valoir indépendamment d’autres concepts. Évidemment, les actes analytiques et synthétiques de l’intellect peuvent – de droit – toujours spécifier ou généraliser ce concept, seulement celui-ci vaut par lui-même à partir du moment où nous estimons qu’il permet de rendre raison et de connaître ce que nous cherchons à expliquer. Au contraire, la catégorie ne peut jamais fonctionner isolément des autres classes du domaine qu’elle divise. En effet, dans le cas du concept, le mouvement d’abstraction isole un prédicat particulier et peut produire une idée générale de celui-ci, mais dans le cas de la catégorisation qui, nous l’avons dit, est le fruit d’une division d’un genre particulier, elle s’accompagne nécessairement d’un ensemble de catégories. L’action de catégoriser nécessite la division d’un genre et partant, la constitution de différences qui constituent une série de catégories. Par exemple, les catégories sociales sont les divisions élémentaires de la société prises selon certains critères précis ; les catégories d’un sport sont les classes indivisibles, dernières, des différentes compétitions dans un sport donné. La notion de catégorie porte donc en elle deux prédicats qui la distinguent radicalement du concept : elle est fondamentale car elle constitue les différences dernières d’un domaine ; elle est essentiellement multiple car elle s’accompagne nécessairement d’une série de catégorie. (i) Fondamentale d’abord, car au contraire du mouvement d’abstraction qui peut laisser de côté les autres différences, la série des catégories divise totalement le genre considéré. Bien entendu, nous pouvons envisager que l’esprit découvre de nouvelles catégories ou modifie ces critères de division, seulement, une fois qu’il établit la série des catégories, celles-ci sont les différences constitutives du genre en question. (ii) Multiple, car en tant qu’elle divise un domaine particulier selon une série, une catégorie doit toujours être comprise relativement à la série entière du domaine divisé.
    Nous pouvons alors donner une première définition en reprenant ce que nous avons montré : comme un objet de classification, la catégorie est un objet intellectuel de représentation par lequel nous divisons un genre précis. Parmi les objets de représentation, nous distinguons tout de même la catégorie du concept puisque la première est le résultat d’une division alors que le concept est obtenu par abstraction. Par ailleurs, la catégorie est un moyen d’organisation et de classification alors que le concept est un moyen de connaissance, ou dans sa variante idéaliste, l’objet de la connaissance. C’est pourquoi le concept ne s’accompagne pas nécessairement d’autres concepts alors que la catégorie est par essence plurielle dans la mesure où elle s’accompagne d’autres catégories pour constituer la série définitive qui divise le genre en question. La notion de série catégorielle, qui se comprenait déjà dans l’acte de division, implique que les catégories correspondent à une division fondamentale d’un genre donné et que la catégorie est un élément indivisible de cette série. La catégorie est donc un élément logique qui divise fondamentalement un genre donné.

    Une fois comprise la différence entre la catégorie et le concept à partir de l’origine psychologique de cette dernière, nous pouvons nous questionner sur la fonction véritable de la catégorie. Nous allons voir que sa fonction nous ramènera à un questionnement profondément ontologique.
    Nous l’avons dit, la catégorie se distingue essentiellement du concept en tant qu’elle permet moins la connaissance que la classification, ou pour reprendre Kant, la constitution. Les catégories semblent donc avoir une fonction plus ontologique qu’épistémologique puisque nos jugements portent sur ces catégories en tant que telles. En effet, même si la catégorie est une fonction logique et se définit avant tout comme une classe - donc comme un concept particulier-, elle porte en elle une confusion ou une proximité entre la position d’existence et sa nature logique. Sans pour autant affirmer que les catégories existent par elles-mêmes comme des entités reales indépendamment de nos jugements et de nos formes logiques, il faut envisager que le sens véritable de la catégorie implique une position d’existence qui radicalise la distinction entre ce type d’objet et les autres concepts et signes que nous utilisons.
    Précisons : la fonction classificatoire du catégoriel implique nécessairement que les catégories forment un cadastre indépendamment de nos jugements. Il ne s’agit en aucun cas de dire que le catégoriel est un en soi, car plusieurs exemples nous montrent que les catégories peuvent avoir une origine conventionnelle, politique, grammaticale ou psychologique. Cependant, la fonction classificatoire entraîne l’antériorité logique de la catégorie sur le concept et sur tous nos jugements, ce qui nous permet d’accorder une autonomie relative à la catégorie. En effet, si le sociologue veut produire des connaissances sur le social, il le fait à partir de sa grille d’analyse et d’intelligibilité de ce monde qui est constituée de catégories. Nous montrerons à partir d’Aristote que la catégorie est le cadastre logique nécessaire à toute intelligibilité et toute forme de jugements et de connaissances. C’est pourquoi, malgré leur origine commune – comme des objets de représentations – la différence de fonction entre la catégorie et le concept implique une articulation entre ces deux objets, l’une classifiant, l’autre connaissant, Ainsi, même si les catégories sociales sont établies par certaines institutions scientifiques et politiques, nous n’admettons pas pour autant que la série soit incomplète. Par exemple, une fois que les institutions ont reconnu la série des catégories sociales, alors nous affirmons tout de go que la société est constituée de catégories sociales – nous rendons réelles les divisions en question. Ce point sera très important pour étudier les catégories d’Aristote ; en effet, au lieu d’accuser Aristote de réifier et d’être dupe des schèmes grammaticaux du grec (Benveniste, 1966), il faudra se demander si ce n’est pas la notion de catégorie qui porte en elle la confusion entre le domaine logique et l’ontologique. Hegel précisait justement ce point dans la seconde partie de sa logique, la logique de l’essence où il explique que la notion de catégorie :

La catégorie, suivant son étymologie et la définition d’Aristote, est ce qui est dit, affirmé, de l’étant.²

    Concluons ce second point : fruit de la division d’un genre, il faut comprendre la catégorie comme un élément fondamental et fondateur pour la constitution du domaine en question. Comme fondamentales, les catégories sont ainsi les conditions de possibilité de l’expérimentation et de l’intelligibilité d’un domaine particulier ; sans porter trop loin ce réalisme de la catégorie, il faut tout de même attirer l’attention sur ce fait que sans les catégories, le genre en question qu’elles divisent ne serait pas intelligible. La chose est difficile à concevoir pour les exemples institutionnels comme les sports ou le social, mais si nous imaginons une langue sans catégorie, une pensée sans méta-concepts fondamentaux, nous comprenons que les catégories - et la série unifiée qu’elles constituent - sont architectoniques dans la mesure où sans elles il n’y aurait tout simplement aucune unification du genre en question.

Les Catégories d’Aristote


    La théorie des Catégories est sûrement la plus connue de tout le corpus d’Aristote. Concepts principaux de notre rapport aux choses, prédicats fondamentaux de notre logique, sens et genres particuliers de l’être, la théorie des catégories est à la lisière de la logique, de la grammaire et de l’ontologie dans la philosophie d’Aristote. C’est pour cette raison qu’un des principaux commentateurs d’Aristote, Simplicius, écrivait au Vème siècle, au sujet des catégories, qu’elles constituaient la tête et le principe de sa philosophie (Commentaire aux Catégories, 18.14). Depuis les premiers commentateurs grecs du texte d’Aristote, toutes les hypothèses et toutes les interprétations ont été données sur ce texte. Outre l’importance de ce terme dans la philosophie du Stagirite, la première analyse du terme « catégorie » nous a montré toute la densité de ce terme qui pourrait bien constituer le fondement même de toute notre rationalité. Mais avant d’entrer définitivement dans l’analyse des textes d’Aristote, reprenons d’abord le statut et la situation du traité des Catégories dans l’œuvre du philosophe.

    Le mot de catégorie nous vient du grec katégoria qui est un substantif du verbe katégoréô/katégorein qui signifie littéralement assigner quelque chose à quelqu’un, dans le vocabulaire juridique accuser quelqu’un de quelque chose, et plus généralement attribuer quelque chose à un sujet x. Comme substantif du verbe, la catégorie peut être définie comme ce qu’on attribue à quelqu’un, ce qui deviendra dans le latin un prédicament un objet de prédication. En reprenant cette étymologie, on dit donc que les catégories d’Aristote sont des genres ou des items de la prédication³. Cependant, il faut prendre garde à l’étymologie de ce terme. Comme le montre Jonathan Barnes [2005], l’étymologie du mot peut nous tromper sur la véritable signification du terme chez Aristote puisqu’elle confond prédicat et genre de prédication. En effet, les catégories ne se réduisent pas à des genres de prédication puisqu’Aristote nomme « prédications » les manières dont un terme y est attribué à x, selon que ce terme soit son genre, son propre, sa définition ou un accident. Plus que des genres de prédications et d’attributions, les catégories doivent plutôt se comprendre comme des items prédiqués, des éléments dont nous parlons et auxquels nous rapportons les choses dont nous parlons. Relié à la théorie de la prédication, de l’attribution d’un terme y à x selon un jugement, la catégorie est plutôt une classe logique à laquelle appartiennent les choses dont nous parlons, que ce soit le x-sujet ou le y-prédicat.

    Pour préciser ce sens et comprendre le rapport entre la théorie aristotélicienne de la prédication et des catégories (les prédicats donc), il faut d’abord s’intéresser à la situation du traité des Catégories dans la classification qui a été faite des traités d’Aristote. Depuis les premières classifications, le traité des Catégories vient en tout premier, il est l’introduction ou l’ouverture de l’ensemble de l’œuvre et plus particulièrement de ce qu’on a nommé l’Organon, la partie logique de la philosophie d’Aristote. Le traité des catégories est donc l’introduction à la partie logique de la philosophie d’Aristote. Il vient avant le traité nommé De l’Interprétation qui porte sur le langage et sur la proposition (discours apophantique divisé entre affirmation et négation), qui s’intéresse au jugement et au rapport entre les noms et les verbes (qui sont les éléments constitutifs de tout discours). Le traité des Catégories vient aussi avant les Premières Analytiques qui portent sur les raisonnements, c’est-à-dire sur les rapports logiques entre différentes propositions, et les Secondes Analytiques qui portent sur la science, sur les raisonnements à validité nécessaire et universelle qu’on nomme des démonstrations. Il vient aussi avant les Topiques, l’ensemble des traités dialectiques d’Aristote (même si certains commentateurs contemporains pensent que les catégories pourraient appartenir aux Topiques, nous aborderons ce point en conclusion (Voir Bodéüs [2002])).

    À partir de cette position du traité dans le corpus, nous pouvons dire deux choses : en tant que ce traité est antérieur à la théorie du discours, des jugements, et des raisonnements, la catégorie est un élément fondamental à partir de laquelle toutes nos facultés discursives se constituent (ce qui faisait dire à Claude Imbert que les catégories sont les dimensions d’une intelligibilité discursive). La catégorie ne peut pas être réduite à un élément grammatical ou linguistique puisqu’elle est antérieure au traité De l’Interprétation qui définit les éléments fondamentaux du discours en général. La catégorie, selon la première définition d’Aristote est un item non composé qui constitue le cadastre logique à partir duquel nous produisons du discours, des jugements, des hypothèses, des raisonnements, etc. C’est en cela un élément méta-logique qui fonde l’ensemble de la logique. Aristote précise ce point au chapitre 4 du traité des Catégories :

Les expressions sans aucune liaison signifient la substance, la quantité, la qualité, la relation, le lieu, le temps etc – Τῶν κατὰ μηδεμίαν συμπλοκὴν λεγομένων ἕκαστον ἤτοι οὐσίαν σημαίνει ἢ ποσὸν ἢ ποιὸν ἢ πρός τι ἢ ποὺ.

    Au tout début du traité De l’Interprétation, Aristote définit les expressions sans aucune liaison- Τῶν κατὰ μηδεμίαν συμπλοκὴν λεγομένων comme étant les éléments fondamentaux qui composent notre langage, c’est-à-dire les mots et les verbes (16a10-13). Ce texte précise ici qu’il y a une distinction réelle entre les mots, les verbes, ce qu’ils signifient et ce à quoi ils se rapportent. Ainsi, dès que nous parlons, nous parlons avec quelque chose au sujet de quelque chose et tous les mots, toutes les expressions sans liaison, dénotent implicitement des classes fondamentales que nous nommons les catégories. La catégorie est ainsi un signifié fondamentale et ne se réduit absolument pas à un signifiant ou une fonction signifiante.
    Nous reprendrons ces points dans les prochaines séances mais concluons ici : en vertu de la position du traité dans la classification des œuvres d’Aristote, les catégories doivent être comprises comme des formes fondamentales qui sont implicitement signifiées et exprimées par toutes nos expressions et tous nos jugements. On pourrait dire en cela que la catégorie est un signifié fondamental sur lequel porte l’ensemble de nos discours, de nos pensées, de nos jugements. Dès que nous parlons, nous renvoyons à des réalités précises (ce chat, cette couleur, cet événement, cette relation etc), mais tous ces termes sont compris dans des catégories fondamentales que nos expressions signifient implicitement. Il reste à savoir si ces catégories sont logiques ou ontologiques, ou bien si cette dichotomie ne se pose pas…

La plan cadastral d'une ville.
"Que la logique ait suivi cette voie sûre déjà depuis les temps les plus anciens, on peut le constater au fait que, depuis Aristote, elle n'a éprouvé le besoin de faire aucun pas en arrière, pour autant qu'on accepte de ne pas compter comme des améliorations la mise au rencart de quelques subtilités superflues ou une détermination plus claire de ce qu'elle expose, toutes modifications se rapportant davantage à l'élégance qu'à la sûreté de cette science."
Kant
Préface à la 2nde édition de la Critique de la Raison Pure

¹ Par exemple : c'est le propre du poète de renverser le rapport entre la généricité des mots ou signes descriptifs et l'irréductibilité, la différence, la singularité de ce qui est décrit.
² Hegel, Science de la Logique, Livre deuxième, l'Essence, p.39, trad. B. Bourgeois
³ J. Barnes, «Les catégories et les catégories», dans O. Bruun, L. Corti (eds.), Les catégories et leur histoire, Paris, Vrin, 2005.
Aristote, Topiques, 103b20-33.

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