Pourquoi la révolution française n'est-elle pas terminée ?

par - février 11, 2023

   
    La révolution française n’est pas terminée”, au dire de certains historiens, parmi lesquels Jean-Clément Martin ou encore Thomas Branthôme. Cette affirmation aurait facilement de quoi nous étonner. La Révolution française n’est-elle pas désormais un épisode de notre histoire vieux de plus de 230 ans ? Et pourtant, il est bien vrai que culturellement, cet événement n’en finit pas d’être actuel et d’être présent dans l’imaginaire collectif. A preuve l’apparition récente du film Vaincre ou mourir (sorti en salle le 25 janvier 2023) qui porte sur la guerre de Vendée, réalisé par le Puy du Fou, dont les propriétaires nous annoncent qu’il s’agit là d’un “film au souffle épique” sur un événement dont la violence de masse aurait, selon eux, trop longtemps été passé sous silence.
    La Révolution française est bien un événement emblématique qui ne cesse de nous hanter. Il nourrit d’ailleurs en permanence le clivage politique gauche/droite, notamment les débats entre personnalités politiques. En témoigne par exemple la une du journal hebdomadaire L’OBS, en 2019, qui nous montrait un Mélenchon, leader de La France Insoumise, caricaturé en Robespierre avec perruque poudrée, arborant un visage dur et tyrannique. D’ailleurs, la figure de Robespierre est peut-être celle qui exprime le mieux tous les clivages et les crispations qui entourent encore cet événement : entre ceux qui pensent que la question sociale et le principe de l’égalité sont les véritables thèmes essentiels de notre temps, et ceux pour qui les inégalités, notamment économiques, sont inhérentes à toute vie sociale, et que la seule égalité civile entre les citoyens suffit, comme principe directeur, à structurer notre République. Il y a donc des manières différentes de voir ce personnage important de notre histoire qu’est Robespierre, tout comme il y a des manières différentes de voir, plus largement, la Révolution française. Elles correspondent à des goûts et à des sensibilités politiques marqués, qui peuvent être, encore aujourd’hui, profondément antagoniques.

    La Révolution française n’appartient donc pas intégralement à un passé qui serait définitivement révolu. Elle constitue encore et toujours, comme le disait Albert Mathiez, un horizon. Elle n’est pas éteinte, et certains de ses idéaux nous concernent encore. Il n’est qu’à penser au mouvement de révolte des Gilets Jaunes pour s’en convaincre. Au gré des nombreuses manifestations qui l’ont rythmé, on trouvait constamment des références à la Révolution française, à ses symboles, à ses mythes et ses principes. Ils ont puissamment servi à nourrir et à intensifier des griefs accumulés contre une république qui revêt des atours monarchiques, et ils peuvent constituer encore des moteurs possibles pour notre histoire à venir. Alors donc, s’il était besoin de légitimer ce point, il nous semble indéniable, voire nécessaire, pour ne pas dire urgent, de se pencher de nouveau sur la Révolution française et de l’étudier. Cet événement matriciel de notre modernité peut nous aider à mieux nous situer dans les méandres de notre présent. C’est la raison pour laquelle nous vous proposons une série d’articles sur la Révolution française.
    Lorsque l’on réfléchit aujourd’hui à ce qu’on appelle république, démocratie, citoyenneté, il s’agit là d’autant de notions qui semblent ne plus vouloir dire grand-chose pour le plus grand nombre. La vie politique même, pour nos contemporains, constitue quelque chose qui leur est de plus en plus étrangère. Elle est devenue une sorte de spectacle, dont le jeu a été confisqué par des acteurs de plus en plus coupés de la réalité, et dont le fameux adage biblique semble décrire parfaitement leurs discours : “faites ce que je dis et non ce que je fais”; “je dis et ne fais pas” (Matthieu 23 : 3). Être citoyen aujourd’hui pourrait se résumer à être un individu ayant des droits certes, mais dont l’expression des désirs politiques et civiques ne comptent plus de façon effective. Ce citoyen prouve son existence politique de façon ponctuelle et limitative à travers le seul rituel des élections. Au reste, si ces élections demeurent encore l’unique activité du peuple souverain, alors l’abstention qui ne cesse de croître dans notre pays montre progressivement une distinction d’essence entre le citoyen et sa représentation, comme si l'État, qui est l’organe et l’effet du peuple souverain, était devenu autonome de celui-ci. Cette perte de croyance en la politique constitue un phénomène de plus en plus répandu et prononcé, car toujours plus nombreux sont les citoyens qui croient de moins en moins en l’offre politique qui leur est proposée par les divers partis officiels qui sont en lutte tous les cinq ans pour la conquête du graal présidentiel. Quand on parle de représentation, on a l’impression que notre système politique, nos valeurs, les principes directeurs qui régissent notre manière de nous organiser en société, n’ont plus de sens. Les mobilisations sociales actuelles avec leur lot de grèves, le problème de l’abstentionnisme, sont autant de phénomènes qui interrogent ce que nous sommes politiquement, et qui interrogent la crise que traverse notre société. Elles jettent une lumière vive sur cette forme de lassitude, de divorce qui se consomme progressivement entre une partie toujours plus importante de la population française, et nos élites dirigeantes installées à la tête de ce que l’on nomme la République.
    Nous vivons dans un temps d’incertitudes. Mais il est raisonnable d’affirmer que l’étude de la Révolution française peut nous aider à y voir plus clair. Les mots de CONSTITUTION, PEUPLE, NATION, REPUBLIQUE, CITOYENNETE, SOUVERAINETE, ETAT DE DROIT, que nous ne savons plus définir et qui perdent toujours plus de leur sens, trouvent en grande partie la plénitude de leur signification dans cet événement qu’est la Révolution française. C’est durant ce moment charnière de l’histoire de France que l’on a expérimenté, réfléchi à différents horizons possibles concernant la République, la nation, la constitution, le peuple, la politique. Ces expérimentations ne furent pas seulement le fait d’élites oligarchiques, elles furent également le fait du peuple. Yannick Bosc a raison de prétendre que la Révolution française est un lieu qui nous permet de réexaminer les termes qui définissent notre vie citoyenne et politique. De manière plus pratique, on peut considérer la Révolution française comme une sorte de magasin d’idées qui saura nourrir et refonder notre vision de la politique et de la participation civique du plus grand nombre à la vie de la Cité.
    Moment magmatique, moment d’effervescence pour reprendre le mot d’un des pères de la sociologie Emile Durkheim, moment de combustion historique, la Révolution française est aussi un événement qui peut nous permettre de prendre un peu de ce recul auquel nous invite l'Histoire, un recul nécessaire afin de mieux raisonner sur notre condition présente, afin de mieux mesurer ce que nous sommes et afin de mieux comprendre la façon dont notre société est bâtie.

    Au cours de cette série d’articles, nous aurons amplement l’occasion d’évaluer cet héritage qui nous a été légué par tous les acteurs de la Révolution française. Nous allons explorer la Révolution à partir de deux méthodes didactiques très simples qui permettent de traiter un objet historique quelconque. Toutes deux vont se chevaucher au gré des articles. Il s’agit tout d’abord de la méthode proprement chronologique : nous proposerons des articles qui vont couvrir la totalité temporelle des événements de la Révolution française, qui vont de 1789 à 1799. Nous commencerons même avant afin de bien saisir les prolégomènes de Quatre-Vingt-Neuf. Nous nous arrêterons délibérément au coup d’Etat des 18 et 19 brumaire an VIII de Napoléon Bonaparte (9 et 10 novembre 1799), bien que certains historiens considèrent, d’ailleurs à raison, que Napoléon continue et parachève le projet révolutionnaire, au moins jusqu’en 1804, date de la fin du Consulat et du début de l’Empire. Certains historiens préfèrent comme fin 1802, date à laquelle Napoléon Bonaparte accéda au Consulat à vie. Dans tous les cas, nous n’irons pas jusque-là, car nous préférons traiter la période napoléonienne à part, dans une autre section de notre site, intitulée Anatomie du Pouvoir (section à paraître prochainement). D’autres articles enfin reposeront sur une méthode plus thématique, et ils s’intercaleront au milieu des articles chronologiques. Nous nous attarderons sur un ou plusieurs phénomènes significatifs, parfois sur un acteur particulier. Nous commenterons parfois une réflexion ou encore l’ouvrage d’un auteur qui paraît important du point de vue de la recherche. D’autres analyses plus libres et qui ne sont pas le fait d’historiens, mais de philosophes ou de sociologues, pourront retenir notre attention également. Concernant par exemple la Prise de la Bastille survenue le 14 juillet 1789, épisode iconique que nous avons tous appris à l’école, celle-ci sera abordée de différentes manières dans plusieurs articles. A l’aide des travaux réalisés par plusieurs historiens, dont tout particulièrement ceux de Jacques Godechot, nous présenterons une chronologie de l’événement; une trame temporelle, aussi précise que possible, de cette journée : son déroulement, les multiples interactions entre les nombreux acteurs à différents endroits de la ville de Paris, l’assaut de la foule de façon détaillée. Mais également, dans un article cette fois-ci thématique ou conceptuel si l’on veut s’exprimer ainsi, nous proposerons une autre étude de cet événement, que l’on trouve dans la Critique de la raison dialectique de Sartre, ouvrage publié en 1960. Sartre, avec une très grande originalité et une certaine virtuosité, nous livre une puissante analyse phénoménologique de la prise de la Bastille, où il tente notamment de reconstituer théoriquement les contenus de conscience et les vécus sensationnels des individus qui composèrent la foule qui s’empara de cette Bastille, monument symbolisant l’enfermement et la force répressive du régime monarchique. Donc, articles chronologiques et articles thématiques constitueront, nous l’espérons, une étude de vulgarisation aussi complète que possible de la Révolution française.

Réminiscence de Marianne tenant le drapeau tricolore
"L'histoire de la Révolution française ne sera jamais achevée ni jamais totalement écrite. De génération en génération, à mesure que se déroulera l'histoire qu'elle a rendue possible, elle ne cessera pas de susciter la réflexion des hommes. Et aussi leur enthousiasme."
Albert Soboul

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