Les lisières du monde - La connaissance comme horizon des possibles

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Annonce : Des six Méditations Métaphysiques, la seconde partie de la Méditation III est peut-être la plus difficile, en tout cas la plus technique et spéculative. À partir de la considération des idées et du principe de causalité, Descartes va démontrer l’existence de Dieu. L’objet de cette méditation (l’existence de Dieu) et le vocabulaire que Descartes emprunte à la philosophie médiévale, expliquent que ces textes semblent éloignés des considérations plus universelles des deux premières méditations, et en particulier les questions du doute, de la recherche de la vérité et de la connaissance de soi. Dès lors, pour comprendre tout ce qui est en jeu dans cette méditation fondamentale pour saisir la progression du texte et plus généralement l’unité des Méditations Métaphysiques, nous allons diviser en trois cette partie du texte. Dans un premier temps nous suivrons le cheminement de Descartes pour voir comment il prétend démontrer l’existence de Dieu. Dans un second article nous reprendrons toutes les objections qui peuvent être faites à cette preuve, nous verrons que Descartes répond à la plupart de ces objections. Enfin dans un dernier temps nous réfléchirons au statut de l’existence de Dieu dans l’échafaudage des méditations et dans la recherche de la vérité.

Les modes de la pensée


    La réflexion inaugurale sur le critère de l’évidence a permis de préciser les nombreuses questions que la philosophie première doit maintenant résoudre. Pour ces questions, comme depuis le début des réflexions métaphysiques qu’il mène, Descartes rappelle qu’il faut suivre l’ordre des raisons et toujours se tenir sur le sol de l’évidence de l’ego cogito. À partir de ce que l’on connaît avec certitude nous cherchons à découvrir ce que nous ignorons.

Et afin que je puisse avoir occasion d’examiner cela sans interrompre l’ordre de méditer que je me suis proposé, qui est de passer par degrés des notions que je trouverai les premières en mon esprit à celles que j’y pourrai trouver par après, il faut ici que je divise toutes mes pensées en certains genres, et que je considère dans lesquels de ces genres il y a proprement de la vérité ou de l’erreur.

    Les distinctions de la 2nd Méditation sont ici cardinales pour comprendre le texte de Descartes et l’orientation de la nouvelle méditation. Nous avons expliqué la différence entre la substance, l’attribut qui le définit en propre et les modes de l’attribut qui sont des modifications non essentielles à l’existence de la substance. Ici, Descartes ne cherche plus seulement à comprendre le rapport entre l’ego (substance) et la cogitatio (l’attribut) puisqu’il considère la cogitatio en elle-même afin d’y établir plusieurs distinctions. Ces distinctions dans l’ordre de la cogitatio permettent alors de se déporter de l’ego vers les différents objets de la pensée qui restent problématiques. Descartes distingue ici trois modes selon que ce sont des idées qui représentent des étants « comme les images des choses » ; des volontés qui déterminent des objets comme fins et moyens ; et enfin, des jugements lorsque j’affirme ou je nie, lorsque je forme des propositions affirmatives et négatives.

    De ces trois formes de pensée, c’est l’idée qui est la plus importante pour poursuivre la recherche puisqu’elle nous représente des êtres distincts de nous. Selon Descartes, l’idée est un mode de la pensée qui représente un être quelconque, qu’il soit sensible, formel ou métaphysique. Dans une lettre à Mersenne de Juillet 1641, il définissait l’idée comme « tout ce qui est dans notre esprit, lorsque nous concevons une chose, de quelque manière que nous le concevons. » L’idée c’est donc la manière dont l’esprit se représente une chose quelconque¹.

Maintenant, pour ce qui concerne les idées, si on les considère seulement en elles-mêmes, et qu’on ne les rapporte point à quelque autre chose, elles ne peuvent, à proprement parler, être fausses ; car soit que j’imagine une chèvre ou une chimère, il n’est pas moins vrai que j’imagine l’une que l’autre.

    Lorsque nous considérons une idée pour elle-même, non pas seulement comme un signe qui renvoie à quelque chose hors de soi, mais comme un mode actuel de la pensée qui représente une chose, alors elle n’est ni vraie ni fausse - (on parle de neutralité aléthique). L’idée est le corrélat d’un acte de la pensée qui est évident en lui-même indépendamment de ce qu’il représente². Descartes modifie considérablement la conception commune de l’idée en précisant que par elle-même elle n’est la cause d’aucune erreur. Malgré les nombreuses figures du doute qui subsistent, l’idée est un élément évident par soi et l’on ne commet aucune erreur si nous nous en tenons à ce que l’idée représente – à proprement parler il est juste que je pense actuellement cet étant x si je le pense. D’autre part, et ceci est le corollaire du premier point, à partir du moment où l’on distingue entre ce qui juge et l’idée qui représente, on accorde à la représentation une positivité et une évidence nouvelle. Non seulement l’idée possède une réalité formelle, car sa présence immédiate est indubitable, mais la réalité objective, c’est-à-dire ce qu’elle représente, est aussi un donné immédiat et indubitable de la conscience. Que cette pomme soit rouge ou non, il est évident et partant indubitable que j’ai ici et maintenant l’idée d’une pomme rouge et que je peux ainsi la décrire, la réfléchir, la comparer, la définir, etc. Pour reprendre l’expression de Pierre Guenancia (p.178), Descartes montre ainsi que par l’idée ce n’est pas la chose qui est représentée, mais plutôt la représentation de la chose qui est présente, et c’est cette représentation qui est l’objet et le seul objet de l’entendement³. La Méditation III s’apparente alors à une phénoménologie de l’idée puisqu’elle veut étudier l’idée en tant que telle, indépendamment de ce que nous jugeons et des relations que nous établissons spontanément entre l’idée et la chose qu’elle représente.

La route des Idées


    Une fois établie l’évidence de l’idée comme mode de la cogitatio, Descartes précise les différentes espèces d’idées que nous possédons. Dans une classification devenue célèbre et discutée par la plupart des philosophes postérieurs⁴, Descartes distingue entre des idées innées, des idées sensibles et des idées produites et inventées par nous-mêmes.
    (i)-Les premières idées sont dites innées car elles ne sont pas acquises par l’expérience et sont nécessaires à toute substance pensante. Indépendamment de l’expérience ou de la réflexion, tout être intelligent possède ces idées du fait même de sa nature rationnelle. Ces idées sont constitutives de la rationalité et déterminent toutes les pensées en général. Au nombre des idées innées, Descartes mentionne ici une chose-res, la vérité-veritas, une pensée-cogitatio. Dans d’autres textes (Principes I,48, Méditation V) Descartes ajoute à cette liste tous les objets noétiques simples à partir desquels nous considérons tous les objets composés, ce sont les idées d’étendue, du mouvement, de la pensée, de l’existence, de l’unité et plus généralement tous les rapports mathématiques et les essences immuables étudiées par la géométrie (nous y reviendrons dans la Méditation V). Quoi qu’il en soit de la liste définitive, Descartes explique que ces idées innées ne peuvent être acquises par l’expérience non seulement parce qu’il est impossible de faire l’expérience d’objets tels que le vrai, la chose, l’existence, mais surtout parce que ces idées sont nécessaires à toute expérience et tout jugement. Sans ces idées données a priori, il ne pourrait y avoir aucun objet et aucune pensée déterminés. Car pour juger d’objets tels que la spatialité, l’unité, la chose ou la vérité, il faut déjà posséder leur connaissance, sinon nous ne pourrions jamais les reconnaître⁵.
    (ii)-La seconde espèce, les idées sensibles, réunit toutes les idées acquises par l’expérience à partir de nos organes sensibles qui nous représentent des corps sensibles.
    (iii)-Enfin, la troisième classe d’idée, potentiellement beaucoup plus grande que les deux premières, réunit toutes les idées produites par notre esprit et notre imagination. Cette troisième classe comprend toutes les fictions de l’imagination que nous pouvons produire à partir des idées innées et sensibles.

L’origine des idées : les idées sensibles


    L’existence d’une classe d’idées adventices qui nous viennent des corps extérieurs/sensibles produit une première ouverture et une première orientation pour découvrir l’existence d’un être distinct de l’ego. En effet, de la distinction entre les idées sensibles et les idées innées, apparaît une première différence entre ce qui est propre à notre raison et ce qui nous est extérieur, différence nous permettant de réfléchir à l’existence des étants représentés par ces idées sensibles. Est-ce que nos idées sensibles ne nous prouvent pas quotidiennement l’existence d’étants distincts de notre propre existence ? Descartes écrit :

Et ce que j’ai principalement à faire en cet endroit, est de considérer, touchant celles qui me semblent venir de quelques objets qui sont hors de moi, quelles sont les raisons qui m’obligent à les croire semblables à ces objets.

    Descartes se demande ce qui, dans l’idée sensible, nous pousse à postuler une conformité avec l’être qu’elle représente. Le questionnement est ici critique puisqu’il pose la question du rapport entre le connaître et l’être, et plus précisément interroge ce qui permet de concevoir une similitude entre l’idée sensible et ce qu’elle représente (l’être). Descartes réfléchit maintenant à ce qui nous autorise à postuler une conformité entre l’idée sensible et les objets qu’elle représente.
    Selon Descartes, avant toute réflexion philosophique, lorsque nous sommes dans l’attitude naturelle, nous sommes fondamentalement réalistes et ce pour plusieurs raisons. (i) Une première raison est naturelle et pragmatique : indépendamment du questionnement philosophique et de la méditation, tous les hommes ont une inclinaison naturelle à accorder une créance à leurs idées sensibles. C’est pour cette raison que les hommes parviennent à subsister et à éviter les dangers. Avant toute forme de réflexion et de distinction entre l’idée du feu et le feu, quiconque voit une flamme s’en éloigne. (ii) La seconde raison est psychologique et causale : dans la mesure où la plupart de nos idées sensibles ne dépendent pas de notre volonté et s’imposent à notre attention, il peut sembler évident que ces idées sont causées par un être distinct du nôtre⁶. Descartes écrit que l’antériorité logique de la cause de ces idées rend « raisonnable de juger que cette chose étrangère envoie et imprime en moi sa ressemblance. »
    Remarquons qu’ici Descartes n’en reste pas à une simple reprise de l’empirisme naturel qu’il a discuté dans la 1ère Méditation en démontrant le caractère dubitable de l’existence des corps ; à la seule précipitation de nos jugements, il ajoute qu’il semble y avoir une disposition naturelle à juger de l’existence des corps et de leur conformité aux idées qui nous les représentent.

    Descartes réfute par trois fois la possibilité d’atteindre la connaissance d’un être distinct du nôtre à partir des seules idées sensibles, et donc de leur origine apparemment externe. Reprenons précisément ces trois raisons qui ont une importance considérable dans l’histoire de la philosophie.
    (i)-Contre l’argument de l’inclinaison naturelle, Descartes montre qu’une telle raison n’en est pas une et que jamais une habitude – aussi vitale et naturelle soit-elle – ne permet d’établir la vérité et la validité d’une créance. L’inclinaison naturelle est précisément l’inverse de la lumière intellectuelle qui nous fait connaître la vérité. Loin d’être un argument pro, l’idée d’une inclinaison naturelle et d’une attitude naturelle fondamentalement réaliste est un argument contra puisque la philosophie cherche précisément à suspendre les habitudes naturelles afin de fonder nos jugements sur des raisons.
    (ii)-Contre le second argument, Descartes argue qu’il n’est ni évident ni indubitable que les idées sensibles viennent d’une existence distincte de nous-mêmes et de notre activité. Que ces idées soient apparemment indépendantes de notre volonté n’implique pas pour autant qu’elles soient produites par une autre existence. Au contraire, à moins de croire que nous avons une conscience parfaite de toutes nos activités et de toutes nos facultés, il est possible de faire l’hypothèse que ces idées sont produites par nous-mêmes et par certaines activités qui échappent à notre aperception immédiate. Il n’y a d’ailleurs pas besoin de pousser trop loin l’hypothèse dans la mesure où l’activité onirique nous montre quotidiennement comment des idées et des représentations d’objets apparemment sensibles peuvent se produire en nous indépendamment de notre volonté⁷. Dès lors, aucun de ces deux arguments ne nous permet d’inférer l’existence d’un être distinct du nôtre à partir de la seule considération des idées sensibles. Mais Descartes ajoute une précision cardinale pour comprendre le problème qu’il construit :

Et enfin, encore que je demeurasse d’accord qu’elles sont causées par ces objets, ce n’est pas une conséquence nécessaire qu’elles doivent leur être semblables.

    L’origine des idées sensibles ne permet pas d’avoir la certitude de l’existence d’une cause distincte de notre être. Mais quand bien même cette hypothèse serait probante, rien dans celle-ci ne permet d’inférer la ressemblance entre l’idée et la chose représentée. Considérant l’idée comme médium de représentation, Descartes explique que la fonction représentative de l’idée ne permet pas pour autant d’établir une conformité ou une ressemblance entre l’idée sensible (son contenu objectif) et ce qui est représenté (la chose dont nous pensons que l’idée est une représentation).
    (iii)-Sans pour autant sortir du registre de la représentation puisque nous n’avons aucune connaissance extrinsèque à nos idées, nous savons que certaines idées sensibles sont purement relatives à nos organes et à notre situation spatio-temporelle. C’est le cas avec l’idée du soleil : nous avons une idée sensible du soleil qui nous le représente comme une source de chaleur extrêmement petite dans notre horizon, alors que par nos connaissances en astronomie, nous avons une autre idée du soleil comme la plus grande planète du système solaire. Par cet exemple, Descartes montre que l’idée intellectuelle formée à partir des lois mathématiques et donc des idées innées nous informe davantage sur la réalité du soleil que l’idée sensible. Dès lors, loin d’être conforme à l’être extérieur qu’elle représente, l’idée sensible est bien plutôt la plus dissemblable à l’être effectif des choses⁸.

    1ere conclusion : La considération des idées sensibles interdit donc l’inférence d’une existence distincte de la nôtre, et réfute définitivement toute compréhension naïve de l’idée sensible comme ressemblance avec le corps sensible. Lorsque nous nous en tenons à nos idées sensibles, nous ne trouvons en elles aucune raison de croire à une ressemblance avec la chose représentée. Voilà donc les deux problèmes radicalisés : en considérant seulement nos idées, nous n’avons pas la connaissance d’un être en acte distinct de nos idées ; de plus, nous n’avons aucune raison de croire que nos idées sensibles nous représentent les choses telles qu’elles sont en elles-mêmes⁹.

La nouvelle route des idées : la causalité


    Descartes persévère dans l’ordre des idées en remarquant qu’il y a une nouvelle voie qui consiste à se questionner précisément sur l’être réel de l’idée¹⁰. Pour le dire en quelques mots, la première tentative était trop simpliste et directe en cherchant seulement si la représentation d’un être sensible permettait d’inférer l’existence de l’être qu’elle représente. Au contraire de ce raisonnement seulement psychologique qui n’a fait que radicaliser la séparation de la représentation et de l’être, de l’idée et de la chose, Descartes va se questionner précisément sur la réalité de l’idée indépendamment de la corrélation. De manière dialectique, c’est-à-dire par voie négative, il se demande alors si le sujet pensant – l’ego cogito peut être effectivement la cause de toutes les idées que nous possédons. Le raisonnement modifie ainsi un élément cardinal par rapport à la précédente tentative : au lieu de réfléchir à la relation entre les idées et une extériorité que nous ignorons, Descartes se demande plus simplement si notre réalité formelle peut être la cause de toutes les réalités objectives que nous nous représentons au travers des idées. Avant de suivre ce raisonnement précis, nous allons d’abord reprendre les termes de la démonstration.

    Descartes remarque tout d’abord qu’il faut prendre la mesure du champ des idées et des distinctions que nous pouvons y établir. Avant de considérer l’idée comme le signe ou le médium de représentation renvoyant à un être extrinsèque, il faut tirer tous les enseignements de ce fait indubitable pour la conscience : les idées sont des réalités¹¹. Indépendamment de ce qu’elle représente ou non, l’esprit a à faire avec des idées, elles sont présentes à lui ; voilà pourquoi on dit très souvent qu’il ne peut pas les chasser de son attention et qu’elles s’imposent à sa conscience. Comme mode de la pensée, l’idée a donc une réalité à part entière – une réalité formelle dans le vocabulaire de Descartes. Or, à toute réalité correspondent des règles précises qui expliquent son existence. Dans une page très importante, Descartes va énoncer certaines règles formelles qui fonctionnent pour toutes les réalités dont les idées font parties¹² :

Maintenant c’est une chose manifeste par la lumière naturelle qu’il doit y avoir pour le moins autant de réalité dans la cause efficiente et totale que dans son effet : car d’où est-ce que l’effet peut tirer sa réalité, sinon de sa cause ? Et comment cette cause la lui pourrait-elle communiquer, si elle ne l’avait en elle-même ?
    
    Descartes ne revient pas sur l’ordre des méditations et n’introduit pas subrepticement certaines vérités ou règles sans les démontrer. Au contraire, la référence à la lumière naturelle signifie qu’il mène à la clarté et à l’explication certains éléments contenus implicitement dans nos premières vérités. La découverte de l’ego, et plus encore de sa nature pensante, se fondait déjà sur le principe de causalité que Descartes explicite ici : s’il y a de la pensée, disait la 2nd Méditation, c’est qu’il y a nécessairement une substance qui est la cause même de la pensée. À la suite de cette première vérité sur le cogito, la lumière naturelle démontre que tout effet (qui a une réalité) tire sa réalité d’une cause qui possède au moins autant de réalité que ce qui se retrouve dans l’effet. Ainsi, de la seule relation entre l’ego et la cogitatio, il est possible de tirer un certain nombre de principes formels qui régissent chaque rapport entre deux choses qui existent, et en premier lieu le principe de causalité qui énonce que tout effet existant en acte à une cause. Par définition, la cause est la raison d’un effet déterminé, ce qui produit sa réalité et rend raison de son existence. En tant que principe de l’existence de l’effet, la cause rend nécessairement raison de l’ensemble de l’effet, et c’est pourquoi elle doit avoir au moins autant ou davantage de réalité que son effet. De ce principe de causalité, Descartes tire alors les trois règles suivantes :

  1. Il y a autant ou davantage de réalité formelle dans la cause que dans l’effet. Il peut toujours y avoir davantage de réalité formelle dans la cause car elle n’a pas à être égale à l’effet et il n’y a aucune nécessité que la cause transfère toute sa réalité dans l’effet. Cependant, en considérant seulement l’effet, nous pouvons établir la réalité formelle de la cause. Ce qu’on nomme la raison des effets consiste à comprendre la cause à partir de l’existence et de la considération de l’effet, sans pouvoir réduire notre connaissance à la seule cause.
  2. Étant donné que la cause contient au moins autant de réalité que son effet, la cause produit par définition toute la réalité de l’effet. Raison pour laquelle le néant n’est jamais la cause d’un effet. C’est la raison pour laquelle un effet sans cause est une contradiction.
  3. Si le néant ne produit rien et que la cause possède au moins autant de réalité que dans son effet : ce qui est le plus parfait, qui a en soi plus de réalité, ne peut pas provenir de ce qui en a le moins.

    Nous pouvons alors appliquer ces trois règles pour classifier et réfléchir à nos idées. Lorsque nous passons nos idées en revue, nous observons leur grande diversité objective, diversité de perfection dans les objets dit Descartes. De ce fait, la cause formelle des idées a au moins autant ou plus de perfection que la réalité objective de l’idée qui en est l’effet, et la diversité des contenus objectifs doit s’expliquer par des différences causales. De même que la pierre qui existe en acte est nécessairement venue à l’existence par une cause qui possède au moins autant de réalité qu’elle, l’idée de la pierre a été produite par une cause qui contient nécessairement autant (ou +) de réalité que le contenu objectif de cette idée.
    Ainsi, en vertu du principe de causalité et de l’évidence des idées, je peux énoncer que la grande diversité que je perçois dans la réalité objective de mes idées (ce qu’elles représentent) doit nécessairement s’expliquer par des différences causales¹³. Nécessairement toutes nos idées tiennent leur réalité objective, c’est-à-dire ce qu’elles représentent, d’un patron qui possède toute la réalité ou la perfection formelle de ce qui est représenté. Indépendamment de la conformité ou de la ressemblance entre l’idée et ce qu’elle représente : il est nécessaire que les différentes perfections que nous observons dans nos idées s’expliquent par l’existence d’un être en acte qui possède au moins autant de réalité formelle que ce qui est contenu objectivement dans l’idée.

    Concluons maintenant ce difficile passage et expliquons ce que Descartes en tire : (i) chaque idée, comme mode de l’esprit, a une réalité formelle et répond ainsi aux lois de la causalité qui s’applique à toutes les réalités. (ii) Dans l’idée, nous distinguons sa réalité formelle, ce qu’elle est, de sa réalité objective – son contenu, ce qu’elle représente. (iii) Chaque distinction objective s’explique par une cause efficiente qui contient nécessairement autant ou davantage que son effet – en l’occurrence la réalité objective¹⁴. Par ces distinctions, nous déterminons formellement le rapport entre le contenu objectif de l’idée et sa cause, ce qui permet alors de définitivement poser le problème qui va maintenant nous occuper :

C’est à savoir que, si la réalité objective de quelqu’une de mes idées est telle, que je connaisse clairement qu’elle n’est point en moi, ni formellement, ni éminemment, et que par conséquent je ne puis pas moi-même en être la cause, il suit de là nécessairement que je ne suis pas seul dans le monde, mais qu’il y a encore quelque autre chose qui existe, et qui est la cause de cette idée ; au lieu que, s’il ne se rencontre point en moi de telle idée, je n’aurai aucun argument qui me puisse convaincre et rendre certain de l’existence d’aucune autre chose que de moi-même ; car je les ai tous soigneusement recherchés, et je n’en ai pu trouver aucun autre jusqu’à présent.

    Là encore la méthode cartésienne ne travaille qu’avec des évidences : en examinant ma réalité formelle, dont j’ai une parfaite connaissance, et à partir des lois de la causalité que je viens de rendre évidente, je peux chercher s’il se rencontre en moi une seule idée dont je ne pourrais pas être la cause efficiente. Si je trouve en moi une idée irréductible à ma nature en ce qu’elle me représente un contenu objectif qui excède ma nature formelle, alors je pourrai inférer l’existence en acte de cette cause sans pour autant la connaître en elle-même.

La démonstration


    Nous devons maintenant porter notre attention sur nos idées et réfléchir à chaque contenu objectif. Descartes mentionne la liste suivante :

Or entre ces idées, outre celle qui me représente à moi-même, de laquelle il ne peut y avoir ici aucune difficulté, il y en a une autre qui me représente un Dieu, d’autres des choses corporelles et inanimées, d’autres des anges, d’autres des animaux, et d’autres enfin qui me représentent des hommes semblables à moi.

    Il y a d’une part des idées de substances pensantes, nous-mêmes d’abord puis tous les autres humains que nous considérons comme des res cogitans ; il y a l’idée de Dieu qui est un être infini, tout puissant ; il y a toutes les idées de corps ; aussi des anges, c’est-à-dire des substances pensantes qui possèdent une connaissance parfaite séparée de la matière ; et enfin des animaux, c’est-à-dire des corps qui se meuvent par eux-mêmes.

    (i)-L’idée de l’ego ne pose aucun problème puisque j’ai la certitude de mon existence formelle à chaque fois que je le pense – l’ego est l’exemple paradigmatique de l’identité entre la représentation et l’être. Ensuite, lorsque je me représente des anges, des animaux, ou des res cogitans, il s’agit toujours de substances, qu’on définit depuis les Principes I §51 comme « des choses qui existent de telle façon qu’elles n’ont besoin d’aucune autre chose pour exister ». Malgré l’extrême disparité de toutes ces idées et de toutes ces natures, leur représentation objective n’excède pas ma nature formelle dans la mesure où je suis moi-même une substance. Il est donc impossible d’inférer l’existence d’une substance autre que la mienne en considérant ces seules idées puisque leur réalité objective est adéquate à ma nature formelle. Aussi étonnant que cela puisse paraître, je peux parfaitement être l’unique substance, déterminant et transposant ma nature substantielle à toutes les idées de substance que je me représente.

    (ii)-Concernant les corps, je me les représente selon deux genres d’idées différentes : soit selon les modes fondamentaux de l’étendue, figure/grandeur/mouvement, ce sont alors des idées rationnelles, (2) soit comme des idées sensibles, des sensations attentives jusqu’aux plus confuses comme la douleur et les affects.
    La première espèce d’idée des corps ne permet pas de conclure à l’existence d’une cause distincte de ma nature formelle. Lorsque je considère les rapports intelligibles de la matière, ce sont des idées proprement rationnelles que j’ai pu produire moi-même à partir de mes idées innées et de mes raisonnements. De même pour les corps que je considère comme des substances dans l’étendue ; même si je ne suis pas une substance étendue et que l’existence même de mon corps reste encore dubitable, je peux parfaitement concevoir, comme pour les premières idées de substance, que je configure le monde de la matière selon ma propre réalité formelle. De ce fait, si je perçois des corps sous la forme de substance par soi, il se peut parfaitement que ce soit moi qui formalise les apparences et que rien dans ces idées de corps ne renvoie à une nature formelle fondamentalement différente de la mienne.
    De même pour les idées d’affections, les douleurs et les qualités sensibles ; rien dans ces idées n’excède ma réalité formelle dans la mesure où c’est l’existence même de ces qualia qui reste encore problématique. Rien dans la chaleur ne me permet d’envisager l’existence d’un être de la chaleur indépendamment de ma complexion somatique et de mon propre sentiment. Dès lors, concernant toutes ces idées des corps, la seule considération de leurs réalités objectives n'exclut pas la possibilité que je sois l’unique cause de toute cette diversité. Comme si j’étais un démiurge qui s’ignore, il n’est pas impossible que je sois l’unique cause formelle de ces idées. Cependant, il reste encore une dernière idée que nous n’avons pas envisagée :

Partant il ne reste que la seule idée de Dieu, dans laquelle il faut considérer s’il y a quelque chose qui n’ait pu venir de moi-même. Par le nom de Dieu j’entends une substance infinie, éternelle, immuable, indépendante, toute connaissante, toute puissante, et par laquelle moi-même, et toutes les autres choses qui sont (s’il est vrai qu’il y en ait qui existent) ont été créées et produites.

    Descartes considère ici le contenu objectif de l’idée de Dieu et dénombre plusieurs attributs qui ont en commun d’être au-delà de toute limitation : infini, éternel donc sans limite temporelle, immuable c’est-à-dire sans mouvement, tout connaissant donc sans ignorance, sans limite de puissance, et cause à partir de laquelle toute chose existe. Dans ses objections contre la 3ème Méditation, Gassendi arguait que cette idée n’avait aucune valeur car c’est seulement l’opinion et l’éducation qui déterminent l’idée de Dieu en chaque homme. Cependant, l’objection et l’argument ne portent pas car Descartes ne considère pas ici le Dieu de la révélation et de la foi ; l’idée de Dieu contient des caractéristiques proprement ontologiques. Comme le remarque Henri Gouhier, la réflexion inaugurale sur l’origine des idées permet d’exclure une compréhension culturelle et acquise de l’idée de Dieu puisqu’elle est innée¹⁵. Peu importe le catéchisme, la culture et la foi des individus, Descartes affirme que quiconque pense attentivement à l’idée qu’il a de Dieu, et non pas à un ange, un démon ou une autre créature métaphysique, pense nécessairement à une substance infinie, éternelle, immuable, indépendante, toute connaissante, toute puissante.
    Une fois le contenu objectif décrit, nous pouvons alors nous demander si nous possédons suffisamment de réalité formelle pour produire un tel contenu objectif.

Or ces avantages sont si grands et si éminents, que plus attentivement je les considère, et moins je me persuade que l’idée que j’en ai puisse tirer son origine de moi seul. Et par conséquent il faut nécessairement conclure de tout ce que j’ai dit auparavant, que Dieu existe ; car, encore que l’idée de la substance soit en moi, de cela même que je suis une substance, je n’aurais pas néanmoins l’idée d’une substance infinie, moi qui suis un être fini, si elle n’avait été mise en moi par quelque substance qui fût véritablement infinie.

    La réflexion sur le contenu objectif de l’idée de Dieu mène à une nouvelle preuve de l’existence de Dieu. Sur le sol même de l’évidence de la cogitatio et de ses idées, Descartes dévoile une idée au contenu objectif irréductible à notre nature et radicalement transcendant¹⁶. Lorsque nous considérons les attributs de l’idée de Dieu, nous nous rendons compte qu’ils sont tous éminents c’est-à-dire supérieurs à notre nature finie. Or, à partir des règles formelles établies au préalable, nous savons qu’une cause doit avoir au moins autant, voire davantage de réalité que son effet, et que le moins parfait ne peut pas être cause du plus parfait. Transposées à l’idée de Dieu, ces règles nous permettent de démontrer que je ne suis pas la cause de l’idée de Dieu et donc qu’il existe une cause indépendamment de ma propre existence.
    L’existence de Dieu est la conclusion du fait que je ne puisse pas être la cause de l’idée infinie d’une part, et qu’il doit y avoir au moins autant de réalité dans la cause que dans l’effet d’autre part. En effet, à partir du lien nécessaire entre la réalité formelle de la cause et le contenu objectif de l’idée de Dieu, j'exclue la possibilité d’en être la cause et j’infère donc la nécessité qu’il existe une cause distincte de mon existence. Or cette cause est infinie puisqu’elle doit avoir au moins autant de réalité que ce que je considère dans la réalité objective de l’idée d’infini. Et puisqu’au commencement de notre réflexion nous avons d’abord considéré le contenu de l’idée de Dieu comme un être infini, nous pouvons rationnellement dire que la cause infinie dont nous avons démontré l’existence coïncide avec l’idée que nous avons de Dieu. Descartes a ainsi démontré par la voie des idées l’existence de Dieu en tant que cause de l’idée de Dieu que nous possédons.

Réflexion : une preuve de l’existence de Dieu


    Par ce long et difficile raisonnement sur les idées, Descartes a démontré dans le même temps l’existence d’un être distinct de l’ego et l’existence de Dieu. Cette première preuve de l’existence de Dieu est une invention de Descartes. Critiquée par la plupart des philosophes ultérieurs, cette preuve est aussi plus méconnue que les autres¹⁷. Souvent mal comprise, conçue comme l’affirmation arbitraire de la présence de Dieu en nous, peu de lecteurs ou de philosophes considèrent encore le raisonnement cartésien comme probant et susceptible de nous mener à la connaissance de l’existence de Dieu. En effet, il faut insister sur la notion de preuve pour comprendre toute l’importance de ce début de la Méditation III : par la réflexion sur les idées à partir du principe de causalité, Descartes démontre par voie rationnelle la nécessité de l’existence de Dieu. Ainsi, indépendamment de la foi qui est le propre de la volonté¹⁸, Descartes fait de l’existence de Dieu un objet de la raison et une vérité tout aussi évidente que notre propre existence. 
    Pourtant, cette preuve pose un grand nombre de problèmes sur lesquels nous reviendrons dans notre prochain article. Nous pouvons nous demander si Descartes ne se trompe pas sur l’idée d’infini qu’il pense découvrir au cœur de sa pensée. En effet, l’homme, en tant que créature finie, peut-il se représenter l’infini ? Comme y insistait Thomas d’Aquin, est-ce qu’un entendement fini n’est pas par définition incapable de comprendre Dieu et les espèces intelligibles infinis ? D’autre part, lorsque Descartes prétend se représenter Dieu et son infinité, n’est-ce pas simplement une représentation confuse, à l’inverse de la véritable connaissance et des évidences que nous cherchons ? De plus, depuis la 1ère Méditation, Descartes a conçu à plusieurs reprises la possibilité que nous soyons la cause de certaines idées que nous pensions radicalement différentes de notre propre nature. L’idée d’infini ne pourrait-elle pas être une création de notre esprit ? Comme pour les idées de substances, d’anges, d’animaux et de corps, l’ego ne pourrait-il pas être la cause de cette idée ? Nous reprendrons ces questions dans le prochain article.

Portrait de René Descartes peint par Frans Hals, un peintre baroque néerlandais, qui figure, aux côtés de Rembrandt, parmi les grands noms de la peinture du Grand Siècle hollandais. L'œuvre date de 1649.
"soit que j'imagine une chèvre ou une chimère, il n'est pas moins vrai que j'imagine l'une que l'autre."
René Descartes

1 Nous précisons la différence entre l’image et la pensée afin d’éviter le contresens fait par Hobbes qui identifie l’image et l’idée. Dans le texte des Méditations III, Descartes compare l’idée à l’image sous le mode de la représentation mais il ne les identifie jamais. L’idée comme l’image représentent un étant quelconque, mais ces deux modes de représentation sont deux espèces irréductibles. Nous verrons dans la VIème Méditation comment Descartes distingue et radicalise la différence entre l’imagination et la pensée.
2 Descartes reprend à son compte, en la modifiant, la formule de Lucrèce énonçant de ne pas « imputer aux yeux les défauts de l’esprit ». Pour Lucrèce et les épicuriens les sensations sont toutes justes et ce sont nos jugements et nos opinions qui produisent les erreurs, pour Descartes, c’est l’idée avec ce qu’elle représente qui est neutre au point de vue aléthique.
3 Par-là, Descartes coupe définitivement avec la conception aristotélico-thomiste de la forme intelligible (Aristote, De Anima, III.8) et de l’espèce intelligible (Thomas d’Aquin, Somme de Théologie, Pars I, Questio 84, art. 4-6-7) qui présente l’être intelligé sous le mode de l’intelligence. Malgré les grandes différences entre la noétique aristotélicienne et la noétique thomasienne, les deux auteurs insistent sur l’identité entre la chose et l’espèce sensible ou intelligible. L’espèce, c’est la chose en tant qu’elle est présente et en acte sous le mode de sa sensation ou de l’intellection pour l’âme ; en latin, nous disons que c’est l’id quo (ce à partir de quoi) par lequel on pense l’id quod (ce qui est connu).
4 Voir par exemple, J. Locke, « I. Des notions innées », Essai sur l’entendement humain.
5 Cet argument reprend implicitement la réflexion platonicienne sur l’innéité des objets scientifiques dans le Ménon, et de l’immortalité de l’âme dans le Phédon.
6 Ce raisonnement vient du livre Gamma de la Métaphysique où Aristote démontre, contre le relativisme de Protagoras et d’Héraclite, l’existence des corps indépendamment du jugement. Selon sa conception du mouvement, Aristote explique que la sensation en tant qu’elle est un affect (donc une espèce du mouvement) est causée par un étant en acte distinct et antérieur. Aristote, Métaphysique, Gamma, 5, 1010b32-35.
7 Descartes écrit à la suite : « Car tout de même que ces inclinations, dont je parlais tout maintenant, se trouvent en moi, nonobstant qu’elles ne s’accordent pas toujours avec ma volonté, ainsi peut-être qu’il y a en moi quelque faculté ou puissance propre à produire ces idées sans l’aide d’aucune chose extérieure, bien qu’elle ne me soit pas encore connue ; comme en effet il m’a toujours semblé jusques ici que, lorsque je dors, elles se forment ainsi en moi sans l’aide des objets qu’elles représentent. »
8 Cet exemple est une reprise du De Anima III.3 d’Aristote. Aristote y distingue entre l’image du soleil-qui nous apparaît à l’horizon, et l’opinion que nous avons du soleil comme la plus grande planète du système solaire. Par cette distinction, Aristote réfute la conception platonicienne de l’imagination comme synthèse de l’image et de la croyance, et montre ainsi que nous avons sur un même objet une image et une croyance qui différent. Descartes reprend la même contradiction et substitue simplement deux idées – sensibles et intellectuelles – à la différence image (phantasma)-croyance (upolépsis) du texte d’Aristote.
9 Dan Arbib résume la chose : « Notons qu’ici l’ego examine deux thèses à la fois : que les idées me viennent de choses extérieures et que ces choses soient semblables à l’idée que j’en ai. (Et ici il poursuit) : La Méditation VI confirmera l’existence des choses extérieures, mais toute l’œuvre de Descartes est une réfutation de la ressemblance entre l’idée et la chose. »
10 Descartes, 3ème Méditation, « Mais il se présente encore une autre voie pour rechercher si, entre les choses dont j’ai en moi les idées, il y en a quelques-unes qui existent hors de moi. »
11 Selon Vincent Carraud, Descartes est le premier à substituer la question de la réalité à la seule distinction entre l’existence et la non-existence, l’être et le non-être. Voir V. Carraud, « Des choses réelles à la réalité des choses », Quaestio, n.17, 2017, p.199-216.
12 Carraud, V., Ibid, p.204 : « La réalité ne s’oppose pas à la représentation, elle est la réalité même de ou dans la représentation, de ce qui est en tant qu’il est par représentation. Le choix cartésien de realitas pour les deux, est comme la postulation d’un concept univoque qui puisse valoir et pour la chose en tant que chose et pour la chose représentée dans l’intellect. »
13 À cette règle, nous pourrions répondre que toutes les idées et leur réalité objective seraient des créations à partir d’autres idées antérieures, et dans ce cas la réalité objective des idées antérieures suffirait à expliquer toutes les distinctions objectives que nous remarquons entre les idées. Mais Descartes précise que jamais une idée ne peut être le seul produit d’une autre idée antérieure, il faut toujours une réalité formelle pour produire une idée et une représentation.
14 Henri Gouhier résume la chose comme suit : « La force de l'argument tient donc à la thèse proprement cartésienne que la réalité objective d'une idée est de l'être et, comme telle, se trouve régie par la loi qui exclut toute génération spontanée d'être. » Gouhier H., La pensée métaphysique de Descartes, Paris, Vrin, 1987, p.180.
15 Gouhier, H., La pensée métaphysique de Descartes, Paris, Vrin, 1987, p.189 : Si la présence en moi de son idée permet de démontrer l'existence de Dieu, c'est que l'idée a une autre origine que l’opinion ; on comprend ici pourquoi la longue recherche sur l'origine de l'idée est essentielle à la preuve : celle-ci n'est probante qu'à partir d'une idée née avec moi et irréductible à toute combinaison d'idées acquises. »
16 Pierre Guenancia conclut : « Seule l’idée qui me représente un Dieu introduit dans la sphère de la représentativité un surplus qui ne se laisse pas réduire comme toutes les autres représentations, à la capacité de l’esprit. » Guenancia, P., Lire Descartes, Paris, Folio, 2000, p.182. 
17 Kant par exemple, ne la discutera pas dans ses nombreuses critiques des preuves de l’existence de Dieu dans La critique de la raison pure.
18 Voir Thomas d’Aquin, De Veritate, Questions disputées, Questions XIV-La Foi.
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 Il est temps désormais de parachever cette traversée du Tiers Etat. Après avoir dressé une présentation génétique de l'ordre en lui-même lors d'une première sous-partie, nous avons, dans la seconde, parcouru la bourgeoisie dans toutes ses composantes sociologiques. La troisième sous-partie fut le lieu d'observation des classes populaires urbaines. 
    On ne peut plus tellement descendre désormais, car la paysannerie se tient elle aussi, à côté du peuple laborieux des villes, tout au bas de la société. Nous voilà donc rendus au sol, comme disait Rimbaud, aux côtés des paysans. 

La paysannerie d’Ancien Régime

    La France d’Ancien Régime est une société essentiellement rurale. La production agricole y domine largement la vie économique, malgré les progrès importants des activités manufacturières et industrielles que nous avons détaillées de près lors de la seconde sous-partie. Alors, forcément, la question paysanne fut l’une des plus importantes au cours de la révolution.
    Il y a d’abord l’importance numérique de la paysannerie. Sur les 27,6 millions d’habitants que compte le royaume - avec une population urbaine que l’on peut approximativement estimer entre 16 et 20% - la population rurale forme quelque chose comme environ 23 millions d’individus. Sans la participation de la paysannerie aux événements révolutionnaires, la Révolution n’aurait peut-être pas abouti, et la bourgeoisie, elle, n’aurait certainement pas pu venir à bout du système des privilèges. Le motif essentiel de l'intervention de la paysannerie dans la révolution fut la question des droits seigneuriaux et des survivances tenaces de la féodalité. En prenant part à l'embrasement révolutionnaire, elle a entraîné l’abolition radicale de ce régime féodal vieux de plusieurs centaines d’années qu’elle exécrait si profondément.
 
    La propriété paysanne varie selon les régions. Son importance était de 22 à 70% du sol suivant les endroits. Sur les riches terres à blé ou d’élevage du Nord, du Nord-Ouest et de l’Ouest, la propriété paysanne était faible, car la terre était surtout accaparée par les seigneurs, le clergé ou les bourgeois opulents. Les terres appartenant aux paysans étaient peut-être de 30% dans le Nord, 18% dans les Mauges et 22% dans les plaines du diocèse de Montpellier¹. La part des paysans est a contrario très importante dans les régions primitivement bocagères ou forestières et dans les montagnes, là où les défrichements médiévaux avaient été abandonnés à l'initiative individuelle. En revanche, la propriété paysanne était très faible dans les régions où l’aménagement du sol avait nécessité d’importantes mises de fonds, ou encore aux environs des villes où les nobles et les bourgeois se sont appropriés la majeure partie des terres. La propriété paysanne paraît très vaste : environ 35% à l’échelle du royaume. Seulement, en raison de l’importance numérique des paysans, la part revenant à chacun d’eux était très faible, pour ne pas dire infime. La plupart avaient une terre qui ne représentait quasiment rien, dont les dimensions étaient le plus souvent celles d’une petite propriété parcellaire. Les plus nombreux parmi la population rurale globale sont encore ceux qui n’ont carrément aucune terre, qui ne possèdent rien, ceux que l’on appelle les brassiers ou journaliers, ceux qui n’ont que leurs bras à proposer et qui constituent pour ainsi dire un prolétariat rural. La condition paysanne est donc très variable, et les deux grands facteurs de cette diversité sont d’une part la condition juridique des personnes et, d’autre part, la répartition de la propriété et de l’exploitation foncières.
    La condition juridique. On distinguait les serfs et les paysans libres. La très grande majorité des paysans étaient émancipés depuis fort longtemps. Seulement, il existait encore des serfs, peut-être 1 million d’hommes, notamment dans le Nivernais et en Franche-Comté. Les serfs sont des individus qui n’ont aucune liberté personnelle sur le plan juridique. Ils sont attachés à une terre, la glèbe, et en cela ils sont soumis à des obligations, notamment la corvée, auxquels sont assujettis également les paysans libres. Les serfs ont une condition qui est quelque peu au-dessus de celle de l’esclave proprement dit. Sur eux pesait la mainmorte : leurs enfants ne pouvaient pas hériter, même des biens mobiliers du père, sauf en payant au seigneur des droits dits de mainmorte, dont le montant était, le plus souvent des cas, trop important pour eux. En 1779, Necker abolit la mainmorte dans les domaines du roi. Il mit fin également, cette fois-ci à l’échelle de tout le royaume, au droit de suite qui permettait au seigneur de revendiquer ses droits sur les serfs fugitifs.
    Parmi les paysans libres, nombreux sont les brassiers. N'ayant que leur force de travail à proposer pour vivre, ils forment le prolétariat agricole. Les bastions de paysans sans propriété ne cessent de croître durant ce XVIIIe siècle d’inflation continue, et particulièrement durant la toute fin du siècle, notamment en raison de la réaction seigneuriale, phénomène sur lequel nous allons revenir un peu plus loin. Elle consista en une aggravation des charges féodales à cause de ce que les seigneurs exigèrent la plénitude de leurs droits en invoquant les terriers, ces parchemins médiévaux censés renfermer l’énumération de tous leurs droits tombés depuis longtemps en désuétude. Dans les environs de Dijon et en Bretagne, le nombre des brassiers a doublé au cours du XVIIIe siècle. Leur augmentation se fait au détriment des petits cultivateurs propriétaires. Malgré la hausse des salaires nominaux, les conditions d’existence des brassiers s’aggravent en raison, là encore, de la hausse des prix décrite lors de la sous-partie précédente. Très proches de ces prolétaires ruraux, nous trouvons un grand nombre de petits paysans parcellaires qui n’ont pour vivre - soit qu'ils la possèdent, soit qu'ils la louent - qu'une petite terre souvent bien insuffisante. Ils durent alors trouver des ressources complémentaires pour pouvoir vivre. La plupart devinrent donc ces travailleurs salariés saisonniers, à domicile ou dans des ateliers ruraux ou urbains, dans le cadre notamment de la proto-industrie. Jean-Paul Bertaud, toujours dans son style rapide et énergique, évoque la douloureuse condition de ces individus en proie aux changements en cours dans les structures économiques et sociales, les obligeant à s'adapter : 

Les paysans français sont [...] souvent propriétaires d'une parcelle de terre. Celle-ci est insuffisante pour les nourrir et beaucoup doivent louer des métairies ou des fermes, les premières souvent à un prix exorbitant. Quand ils n'en trouvent pas, ils se font, comme les manouvriers qui travaillent avec eux dans les champs, fileurs, tisserands, menuisiers, batteurs en grange, ouvriers saisonniers, parcourant les plaines à la recherche d'un emploi qui souvent les fuit : leur femme se fait ouvrière pour le compte d'un marchand fabricant de la ville proche, leurs filles domestiques, leurs enfants en bas âge vachers ou pâtres. Ils s'épuisent les uns et les autres à gagner quelques sols [sous], à préserver ainsi le petit patrimoine des terres légué par les ancêtres. Ils ne sont rien mais, la barrière de leur lopin de terre refermée, la porte de leur masure close, ils sont maîtres chez eux.² 

    Quand ces pauvres de la campagne trouvent à s'embaucher dans les manufactures rurales, ce n'est que pour un salaire d'appoint misérable. Les ouvriers ruraux furent moins payés que ceux des villes où les réglementations étaient de mise. La liberté du travail dans les campagnes permettait aux patrons de sous-payer, au-delà même du raisonnable, ces travailleurs qui, du reste, n'étaient pas en mesure, au vu de leur situation, de contester. Nous avions vu qu'une fileuse pouvait toucher 4 ou 5 sous par jour, et un tisserand, quelque chose entre 8 et 10 sous. Ces ouvriers ruraux, qui travaillent pour un salaire de complément en-dessous du salaire naturel dont parlait Adam Smith, pataugent bel et bien, pour reprendre l'expression de Marx, dans la fange du paupérisme³.
    La répartition de la propriété et de l’exploitation foncières. Les propriétaires nobles, ecclésiastiques ou bourgeois n'exploitent pour ainsi dire quasiment jamais leurs terres eux-mêmes. Ils les donnent donc en fermage ou alors, le plus souvent, en métayage à des paysans. Ce sont les deux modalités typiques de mise en exploitation de la terre dans l’Ancien Régime. Ces deux pratiques socio-économiques revêtent d'importantes différences : dans le cas du fermage, le propriétaire de la terre perçoit un loyer de la part du fermier dont le montant est déterminé dans l'acte même de la contractualisation entre les deux hommes; tandis que dans le cas du métayage, le bailleur de la terre perçoit une part des fruits de la production agricole générée par le métayer. Ici encore, le partage des produits de la terre et des charges de l’exploitation s’organise selon un principe dit de tiercement : ⅓ pour le propriétaire et ⅔ pour le métayer. Toutefois, l'opération, selon les contractants, peut connaître quelques souplesses, de sorte que le bailleur peut recevoir une part excédant le tiers. En principe, cette répartition des fruits de la production entre le métayer et le bailleur se fait en nature, mais le contrat peut prévoir des partages de recettes monétaires. Les parcelles étant le plus souvent dispersées, elles sont alors louées isolément, de sorte que les brassiers ne parviennent pas à se procurer un petit lopin; quant aux petits propriétaires, ils ne peuvent espérer agrandir leur exploitation. 

Les métayers

    Ils constituent, pour ainsi dire, parmi toute cette paysannerie parcellaire, le groupe le plus nombreux. Les ⅔ voire les ¾ de la France sont peut-être des pays de métayage. Ce mode d’exploitation dominait très largement au sud de la Loire, notamment dans les régions du Centre (Sologne, Berry, Limousin, Auvergne…) et au Sud-Ouest. Il est beaucoup plus rare au nord de la Loire, quoiqu’on le trouve en Lorraine. Le métayage est le mode de location foncière caractéristique des régions les plus pauvres, celles où les paysans n’ont ni cheptel (troupeau de bêtes), ni avances monétaires. Ernest Labrousse a mis en évidence un phénomène d’aggravation, entre 1770 et 1787, de la pression seigneuriale et fiscale sur le profit du métayer et du fermier réalisé par suite de la vente des céréales.
⁴
Sur ce graphique, on voit la part du profit du métayer diminuer brutalement au cours des années 1777-1787 par rapport à la période de base 1770-1776. Cette chute du profit du métayer est causée par une hausse très forte de la valeur des prestations en nature et des aides (taxations opérées sur le travail) exigées par le bailleur. Dès 1780, la pression de la dîme et des redevances seigneuriales a plus que doublée quand celle des aides est allée jusqu’à quadrupler. En 1786, les dîmes, les droits seigneuriaux et autres aides représentent désormais quatre fois le profit moyen réalisé par le métayer ! Celui-ci ne peut donc plus dégager, si minime soit-elle, une quelconque marge bénéficiaire qui puisse être encore raisonnable. Par rapport aux années de base 1770-1776, les charges prélevées sur sa production se sont donc aggravées, au cours de la décennie 1777-1787, dans une proportion de 1 à 13. Labrousse a également dévoilé, pour les années 1770-1791, un prélèvement de la dîme, des droits seigneuriaux et des aides absolument record - à l'échelle de toute l’histoire d’Ancien Régime - opéré sur le profit, cette fois-ci monétaire et non en nature, du métayer⁵. Ainsi, lui qui souffre déjà comme toutes les catégories populaires de la crise et de l’inflation, se voit doublement pénalisé - en raison d’un taux d’extorsion de la valeur opéré sur sa production en nature et de la ponction réalisée sur ses revenus monétaires qui prennent, dans les dernières années d’Ancien Régime, des proportions toujours plus indécentes. Et s'il n'y avait que ces prélèvements seigneuriaux et ecclésiastiques, la situation serait déjà, en l'état, tout à fait intenable, mais quand l'Etat lui-même accentue davantage la pression fiscale sur le paysan, alors, on peut dire que son compte est bon. Un cahier de doléances rédigé à Asnières regorge de précisions telles qu'il n'est guère permis de douter des complaintes qui s'en échappent. 

Lesdits habitants sont si pauvres... que tous les ans ils sont obligés d'acheter un nouveau pot de fer pour faire un peu de mauvaise soupe, en ce que l'huissier leur enlève au temps [du paiement de l'impôt] celui qui leur a servi toute l'année, et le vend avec le reste de leurs pauvres guenilles pour remplir leur cote [recouvrer le montant de la taille] s'il s'en trouve assez...Une autre preuve de la misère de cette paroisse, c'est la disette des bœufs, qui depuis dix ans est réduite au moins à un tiers de diminution, puisqu'on en comptait alors 66 paires et qu'à présent il s'en trouve que 41... La paroisse... n'ayant absolument aucun pacage et ne pouvant faire aucun élève [élevage], elle a encore le malheur d'être sur les reins de la forêt d'Aulnay... de voir tous les ans un pacage abondant dans cette même forêt sans oser y faire pacager une seule pièce de bétail qu'ils ne subissent le sort d'être pris par les gardes et ensuite vendus au profit de Sa Majesté, et les propriétaires de ce même bétail condamnés à des amendes considérables...⁶
 
Nous reviendrons dans un instant sur ce problème des charges fiscales comme formes de l'extorsion de valeur.

Les fermiers & laboureurs

    Dans les pays de grande culture, notamment les riches plaines céréalières du Bassin parisien et les plaines limoneuses à blé, ce sont généralement des gros fermiers qui accaparent les terres mises en location par les seigneurs, clercs et bourgeois, le plus souvent au détriment des brassiers et des petits propriétaires qui n'ont pas de quoi louer. Bien entendu, ces fermiers opulents constituent une petite minorité face à la masse des petits fermiers. Ils sont très présents en Picardie, en Normandie orientale, en Brie ou encore en Beauce. Ils forment, en quelque sorte, une véritable “bourgeoisie rurale”. Ils accumulent haines et colères de la part des populations campagnardes qu’ils contribuent à prolétariser. Bien entendu, leur importance économique va de soi : ils sont les initiateurs, dans les riches campagnes céréalières, de la progressive transformation capitaliste de l’agriculture. Ils prennent à bail de vastes exploitations pour 9 ans généralement, et les montants de location exigent donc un capital d’exploitation très conséquent.
    Proches socialement des grands fermiers, il y a les laboureurs. Ce sont des paysans propriétaires aisés sinon riches, ou alors des fermiers louant de grandes exploitations avec des baux essentiellement en argent. Eux aussi constituent un petit groupe homogène et dont l’influence, cette fois-ci sociale plus qu’économique, est grande. Ces laboureurs sont généralement les notables qui sont pour ainsi dire à la tête des communautés paysannes. On les appelle également les coqs de village. Ils forment une espèce de bourgeoisie rurale. La plupart d’entre eux commercialisent une partie de leurs récoltes, mais qui ne formait qu'un faible pourcentage de l’ensemble de leur production. Lors des bonnes années, ils écoulent leurs excédents de céréales et dans certaines régions, ils vendent essentiellement du vin, marchandise dont le prix se caractérise jusque vers 1777-1778 par une très forte hausse, avoisinant les 70%. Cette paysannerie propriétaire opulente a donc bénéficié de la montée des prix agricoles consécutive à l’inflation de longue durée, jusque vers les premières années du règne de Louis XVI, avant de connaître un retournement de conjoncture lors de la crise économique de la fin de la décennie 1780.

    On voit donc que la société rurale elle-même comportait, à l’instar de toutes les autres composantes essentielles de la société d’Ancien Régime, des nuances et des oppositions. Les grands fermiers et laboureurs, les fermiers, les métayers, les petits paysans propriétaires et les brassiers prolétaires forment une hiérarchie rurale complexe qui correspond à l’extrême disparité des fortunes et des rangs dans le jeu économique. Tout ce monde paysan est celui qui - à côté des activités artisanales, manufacturières et industrielles - produit l'essentiel des richesses. La société d'Ancien Régime repose donc en grande partie sur lui. Du reste, les contemporains eux-mêmes en avaient conscience, comme en témoigne cette estampe d'époque que nous avions mobilisé comme image de garde de notre article sur la noblesse. 


La "sphère de la production matérielle" & l'extorsion de la valeur 

    Le monde paysan est celui qui supporte le plus l’écrasante structure de prélèvement d’Ancien Régime. Il est le lieu où s’opèrent les plus nombreuses et les plus importantes ponctions de valeur. Il est, avec le monde artisanal et manufacturier-industriel, le lieu d'extorsion du surtravail, pour reprendre le mot de Marx, lequel désigne la part du travail effectué par le producteur qui ne lui est pas restituée sous forme de salaire, se transformant ainsi en plus-value accaparée par le patron⁷. Dans son Histoire du capitalisme, l'économiste Michel Beaud a réalisé un schéma qui tente de recomposer le processus de création et d'extorsion de la valeur, tel qu'il s'opère dans la société d'Ancien Régime au XVIIIe siècle. 
⁸
    On voit dans ce schéma qu'à la base de la société, il y a le monde du travail productif, agricole en majeure partie mais également artisanal et manufacturier. Cette base est dénommée par Michel Beaud la "sphère de la production matérielle". Si une partie du travail agricole sert essentiellement à l'autoconsommation paysanne, le reste de la valeur produite par le travail est prélevé, sous forme de rentes en travail, en nature ou en argent, au profit du seigneur et du clergé; et sous forme de taxations multiples au profit de l'Etat qui soumet les roturiers à l'impôt. A la marge de cette sphère de la production matérielle, on trouve tous les vaincus définitifs du système, les mendiants et les vagabonds qui étaient estimés déjà au XVIIe siècle par Vauban comme représentant 10% de la population française. Les prélèvements opérés sur le travail agricole et artisanal circulent sous forme de valeurs accumulées dans la société, se répartissant entre la machine étatique, les ordres privilégiés et les bourgeois d'affaires et de finance. Au sommet de cet édifice d'accumulation reposant sur l'extorsion de la valeur produite par le travail, on trouve tout un système de circulation de richesses - sous la forme le plus souvent monétaire et aussi de dettes - innervant toute la société mais servant essentiellement : 
  • au bon fonctionnement de l'appareil d'Etat et ses cohortes de fonctionnaires;
  • au service de la famille royale et des courtisans de Versailles;
  • aux grands commis de l'Etat et aux fermiers généraux qui récupèrent une partie de la valeur extorquée sous la forme d'impôts indirects, prérogative qui leur a été déléguée par l'Etat lui-même;
  • au haut clergé, principalement en nature via la dîme, mais qui commercialise une partie des récoltes ponctionnées sur les paysans, transformant ces richesses naturelles en profit monétaire;
  • aux seigneurs et autres propriétaires fonciers bourgeois, qui prélèvent sur le travail paysan des rentes en nature et en argent par toute une série de droits attenants aux fiefs;
  • aux banquiers et négociants qui récupèrent une partie de la valeur produite sous forme monétaire et qui la font circuler - via des prêts à intérêts, des investissements et des spéculations multiples, notamment sur les biens immobiliers et sur les lettres de change - et qui investissent dans le commerce colonial et dans les échanges internationaux...
    Ainsi était bâti l'Ancien Régime, sur l'extorsion de la valeur produite, en très grande partie, par la paysannerie. Cette appropriation de la richesse au détriment des producteurs s'opérait donc par un système complexe et protéiforme de prélèvements mettant en jeu toute une série d'agents économiques. Il faut y regarder d'un peu plus près.

Une paysannerie asphyxiée par les charges fiscales

    Le paysan était soumis à la majeure partie des charges que lui imposaient aussi bien l’Etat que les ordres privilégiés. Il était pris dans l’étau des prélèvements fiscaux, ce qui le confinait à évoluer dans la pauvreté en payant le plus possible pour que d’autres puissent s’enrichir à sa place sans fin. Il était, pour le dire vulgairement, la vache à lait du système. Mathiez, dans un style autrement plus relevé, indique aussi que les "paysans sont les bêtes de somme de cette société ⁹". Nous pouvons faire parler directement les individus de l'époque en invoquant un cahier de doléances de la commune de Château-Garnier, qui adresse au roi la douloureuse complainte que voici : 

Ceux qui ne vont pas à la guerre demeurent à faire valoir la terre et enfin tâchent de la cultiver du mieux qu'il leur est possible pour subsister. Tombent là-dessus, on ne cessera de le dire, une foule d'impositions royales qui sont perçues par sept collecteurs chargés d'en faire le recouvrement; souvent de fois, les habitants ne peuvent point payer; on envoie la garnison, on la promène dans la maison, avec son air imposant; on pleure, on crie, on gémit, et l'on écoute point cela; il faut de l'argent; n'en ayant point, on exécute le chaudron, on arrache la crémaillère qui le tient pour faire chauffer l'eau et pétrir le pain d'orge et souvent d'avoine des malheureux; on nomme un dépositaire des meubles exécutés, et l'on fait vendre à la porte de l'église, au dernier enchérisseur, le dimanche suivant, quoi qu'il est expressément dit, par un nouveau règlement que ces malheureux ne connaissent point, qu'il n'est pas permis d'exercer une pareille contrainte...¹⁰
 
    Toutes ces charges qui pesaient sur le dos des paysans étaient d'autant plus lourdes que l’économie rurale, en cette fin de XVIIIe siècle, ne progresse plus, devenant même de plus en plus archaïque. C'est bel et bien contre toutes ces charges et prélèvements fiscaux imposés par la monarchie et l’aristocratie que la paysannerie trouvait son ferment d’unité. 

Les charges royales

    Le paysan est à peu près le seul individu que l'on oblige à payer la plupart des impôts royaux. Il paye la taille, et il doit contribuer également à la capitation et aux vingtièmes. Lui seul est astreint à la corvée des routes, aux transports militaires, au logement des gens de guerre, à la milice. Il est surtout contraint de supporter les impôts indirects, notamment la gabelle, impôt sur le sel particulièrement lourd. Jean Nicolas a réalisé des travaux de toute première importance sur les révoltes populaires dans la France des XVIIe et XVIIIe siècles. Il a recensé 8528 évènements rébellionnaires entre 1661 et 1789 dans le royaume, évènements allant de légers troubles civils aux très grandes révoltes urbaines et campagnardes¹¹. Parmi les nombreux motifs de mécontentement, la gabelle tient une place importante. Les sources de l'époque, notamment les rapports de police, ont fait état maintes fois de ce mot d'ordre des gens en colère : "Vive le roi sans gabelle"
    Ces charges royales, après s’être quelque peu allégées pendant la majeure partie du XVIIIe siècle par rapport à l’écrasant siècle précédent, connaissent une nouvelle poussée avec la guerre en Amérique. En Flandre wallonne, l’impôt direct, sous le seul règne de Louis XVI, augmente de 28%.

Les charges ecclésiastiques

    Il a déjà été question en détail des impôts ecclésiastiques lors de la partie 2 de notre étude. Il suffira de s’y reporter. Disons simplement ici que ces charges sont de moins en moins acceptées et comprises par les paysans en cette fin de XVIIIe siècle, surtout qu’elles étaient inféodées la plupart du temps aux évêques, aux chapitres, aux abbayes, voire même aux seigneurs laïques. En somme, les impôts perçus par le clergé ne servaient que fort peu, en ces temps de crise, à l’entretien du culte ou encore au soulagement des pauvres et des miséreux de la paroisse. Ils servaient, en grande partie, aux membres du haut clergé qui menaient grand train.

Les charges seigneuriales

    Elles sont de loin les plus lourdes que les paysans aient à supporter. Elles sont aussi les plus impopulaires et les plus honnies. Liées au régime féodal, elles pèsent sur toutes les terres roturières et entraîne la perception des droits féodaux. Le seigneur, fort de ses privilèges et de ses droits féodaux, possède sur ses terres la justice, haute et basse, symbole de sa suprématie sociale. La basse justice est une arme économique entre ses mains et il s'en sert pour exiger de façon intangible le paiement de ses droits par les paysans. C’est donc un instrument indispensable à l’exploitation seigneuriale de l'homme par l'homme, car il permet au seigneur, au sein de son propre tribunal, d'être à la fois juge et partie, face au paysan.
    Les droits seigneuriaux proprement dits comprennent les droits exclusifs de chasse et de pêche, de colombier, la perception de droits sur les foires et les marchés, les péages, les corvées personnelles effectuées par les paysans au service de leur seigneur, le droit de ban qui revêt des monopoles économiques, notamment les banalités du moulin, du pressoir ou du four. Le seigneur jouissait en outre des droits réels, lesquels pesaient en principe sur les terres et non sur les hommes. A ce titre, il conservait la propriété éminente, c’est-à-dire directe, des terres (tenures) que cultivaient les paysans qui, pour leur part, n’en avaient que la propriété utile, en vertu de quoi ils devaient payer des redevances annuelles, comprenant les rentes et un cens, généralement en argent, ainsi que le champart sur les récoltes (prélèvement effectué par le seigneur sur une partie des récoltes du paysan). Il y avait encore les redevances casuelles, qui se décomposent en droits de lods et ventes, qui sont des taxations que le seigneur opère sur les ventes ou les héritages des terres de ses paysans. On disait des hommes d'Ancien Régime qu'ils étaient pris dans les filets de la religion, à quoi il convient de rajouter que le paysan, lui, était également pris dans les rets de la domination seigneuriale. Dans "presque toute la France" écrit Jean-Paul Bertaud, "nulle terre sans seigneur. La terre que le paysan travaille fait partie d'une seigneurie et il n'en a que la «propriété utile». Dans la nuit des temps, le seigneur, possesseur de toutes terres, en a concédé une partie aux ancêtres qu'il protégeait de ses armes. Le seigneur conserve des droits sur les hommes et les biens fonciers. Il possède des droits de justice [...], cette basse justice, c'est le moyen d'intervenir dans la vie de tous les jours pour exercer une police et prononcer des jugements qui rapportent. En cas de conflit entre le seigneur et le paysan sur le paiement des autres droits, l'exercice de cette basse justice fait le seigneur juge et partie et lui permet d'avoir toujours raison.¹²"
    Ce régime seigneurial d’exploitation et d’extorsion de la valeur produite par le paysan varie en intensité suivant les régions. Il est particulièrement âpre en Bretagne et en Lorraine et généralement plus souple ailleurs. Il accable les paysans qui n’en peuvent décidément plus à la veille de 1789. Il se produit d’ailleurs ce que l’on a appelé une réaction seigneuriale. A cause de l’appauvrissement progressif de la plupart des hobereaux qui se produisit tout au long du XVIIIe siècle, le régime féodal s’est significativement durci, notamment avec l’invocation, par les seigneurs, des terriers. Les justices seigneuriales, en cas de contestation de la part des paysans, les accablaient davantage. Les seigneurs se sont également ingéniés à porter atteinte le plus possible aux droits collectifs des paysans, notamment leurs droits d’usage sur les communaux, lesquels constituent des propriétés collectives qui permettent aux paysans de survivre. Nous allons y revenir dans un instant. Les seigneurs réclamaient la propriété éminente sur les communaux, car les édits de triage, qui leur accordaient souvent le tiers de ces terres communes, ne leur suffisaient pas. Dans certaines régions, la réaction seigneuriale fut très violente. Ainsi dans le Maine où s’opère, au cours du XVIIIe siècle, une concentration de plusieurs seigneuries. Les seigneurs usèrent systématiquement de leur droit d’aînesse - qui consiste en la concentration, au profit du fils aîné, des biens de la famille afin qu’ils ne soient pas morcelés - afin d’étendre leurs fiefs et s'approprier la part la plus grande possible des communaux. En Franche-Comté, perdurait le droit de suite malgré son interdiction en 1779 - nous avons évoqué cela plus haut - et il se pratiquait encore dans toute sa rigidité. Il s’appliquait sur les serfs et les mainmortables avec une grande dureté. L’édit de 1779, devant sa non application par les nobles de la région, a dû être inscrit militairement - tant les privilégiés locaux désiraient ardemment son maintien - sur les registres du Parlement en 1788 seulement, après une séance de 38 heures !
    Cette réaction seigneuriale fut encore aggravée par la hausse des prix. L’inflation donna une plus grande valeur au champart et à la dîme que le seigneur et le décimateur percevaient en nature. Pris entre l’augmentation des charges et par la hausse constante du coût de la vie qui s’accélère intensément dans les années 1785-1789 - en plus d'une forte poussée démographique tout au long du siècle -, les paysans ont de moins en moins d’argent. Cet appauvrissement des masses paysannes a provoqué une stagnation des progrès agricoles. Lors des crises, la pression seigneuriale et cléricale avait tendance, comme si cela ne suffisait pas, à s'aggraver. Le paysan, en temps normal, vivait tout juste de son domaine. Alors, en temps de crise, une fois la dîme, les droits féodaux et les impôts royaux prélevés sur son dos, il en était souvent réduit à devoir acheter les grains au prix fort, ce qui faisait donc mécaniquement augmenter le prix du pain dans le royaume, ce qui pénalisait à terme toutes les classes populaires urbaines et rurales. Il est donc aisé de comprendre qu’à l’égard des puissances seigneuriales, la haine des paysans est définitivement inexpiable. Un cahier de doléances rédigé par le bas clergé d'Amont s'insurge contre les affres d'une féodalité qui persistent à ne pas vouloir s'évanouir; et l'on y parle de cet asservissement "injuste, esclavage honteux dans un royaume libre, dans un royaume de Français ou Francs.¹³" Assurément, la question des droits féodaux sera la préoccupation majeure de la paysannerie en 89.

La survie par les droits collectifs

    L’exploitation traditionnelle du sol permettait, dans une certaine mesure, aux paysans pauvres de parer quelque peu à leur manque de terre. Les communautés villageoises demeuraient très vivaces, et les communaux - formes de propriétés collectives permettant aux paysans les plus pauvres de survivre - étaient répandus. Les communautés villageoises étaient pourvues par ailleurs d’une organisation politique et administrative, composée d'assemblées et de syndics, et elles remplissaient le plus souvent une fonction économique : elles tendaient au maintien, là où les paysans démunis étaient les plus nombreux, des droits collectifs anciens qui réglementaient les communaux. Dans le Nord et l’Est du royaume, le terres étaient morcelées en parcelles longues, étroites et ouvertes, groupées en 3 soles sur lesquelles alternaient les cultures : blé d’hiver et céréales de printemps. Une sole était toujours en jachère afin de laisser la terre en repos. Dans le Midi de la France, on distinguait traditionnellement deux soles seulement. Les terres en jachère ainsi que les champs dépouillés de leurs récoltes étaient considérés comme des communaux, idem pour les prés après la première coupe du foin : il s’agissait des droits de seconde herbe. Ces deux formes d’assolement sont soumis au droit de vaine pâture, lequel autorisait chaque paysan à envoyer son bétail sur les communaux. Donc, les champs et les prés restaient ouverts en permanence. Les biens communaux et les droits d’usage collectifs qui y sont attachés, offrent quelques ressources complémentaires aux paysans pauvres, notamment grâce aux droits de glanage et de chaume.
    La grande masse des paysans survivait grâce à tous ces droits collectifs. En face, les paysans riches, grands fermiers et laboureurs, sont hostiles aux droits collectifs car ils restreignent leur liberté d’exploitation et leur droit de propriété. En Angleterre, de telles structures communes existaient également mais elles ont progressivement été abolies entre le début du XVIIIe et le milieu du XIXe siècle par les enclosures, des actes juridiques privatisant les communaux et permettant ainsi la constitution de grandes propriétés agricoles. Les enclosures ont engendré l’expropriation continuelle des paysans modestes qui s’en allèrent dans les villes pour y devenir ouvriers. En France, le phénomène des enclosures à l’anglaise, permettant le passage à une agriculture totalement capitaliste, ne s’est pas produit, malgré tous les efforts des fermiers riches - partisans d'une forme d'individualisme agraire hostile aux droits collectifs - qui luttèrent farouchement contre les communaux afin d’étendre leur propriété individuelle. Comme en Angleterre, ils ont activement milité pour obtenir de la part de l’Etat des édits de clôture, mais ce fut principalement un échec. La révolution permettra en quelque sorte (pour des raisons que l’on verra plus tard), la perpétuation, jusqu’au XIXe siècle, des communaux. L’exploitation en France restait donc, dans son ensemble, de nature précapitaliste. Le petit paysan n’avait pas les mêmes conceptions de la propriété que le noble, le bourgeois ou encore le grand fermier des pays de grande culture. Sa vision de la propriété était collective, ce qui heurtait fondamentalement la notion bourgeoise du droit absolu du propriétaire à pouvoir jouir, librement, de la plénitude de son bien. Alors, les paysans, qui se soulèveront contre la noblesse lors de la révolution à cause des droits féodaux, devront composer aussi avec la bourgeoisie en cela que leurs vues sur la propriété ne sont point conciliables. Le problème de la propriété de la terre sera donc l'un des principaux lieux de tension entre les possédants et les classes populaires rurales mais aussi urbaines.

Conclusion

    Nous avons enfin terminé notre troisième partie sur les structures de la société d'Ancien Régime. La partie 4, qui est à venir, sera consacrée à l'analyse de l'Etat monarchique. 
    En guise de conclusion, nous vous proposons un passage que l’on trouve chez Albert Soboul, lequel reprend une citation d’Arthur Young, ingénieur et agronome anglais qui voyagea en France entre 1787 et 1790. Il n'est guère besoin d'un commentaire concernant ce qui va suivre; il nous suffit de vous restituer intégralement ce passage dur et bouleversant.

Le 12 juillet 1789, faisant route de Reims à Metz, le voyageur anglais Arthur Young, après avoir traversé Les Islettes en Argonne, «un village ou plutôt un amas de boue et de fumier», gravissait à pied une longue côte, pour reposer sa jument. Il fut rejoint par une pauvre femme. «Vue de près, on lui aurait donné soixante ou soixante-dix ans tant sa taille était courbée et son visage ridé et durci par le travail; mais elle me dit qu’elle n’en avait que vingt-huit.» La paysanne se plaignit du temps et du pays. «Comme je lui en demandais les raisons, elle dit que son mari n’avait qu’un morceau de terre, une vache et un pauvre petit cheval, et que cependant ils avaient à payer à un seigneur une rente d’un franchar [42 livres] de blé et trois poulets, et à un autre quatre franchars d’avoine, un poulet et un sou, sans compter les lourdes tailles et d’autres impôts. Elle avait sept enfants et le lait de sa vache servait à faire la soupe. Mais pourquoi au lieu d’un cheval, n’avez-vous pas une autre vache ? Oh ! Son mari ne pourrait transporter les produits de son champ aussi bien, s’il n’avait pas de cheval, et l’on ne se sert guère d’ânes dans le pays. On dit qu’à présent quelque chose va être fait par de grands personnages, pour nous pauvres gens, mais elle ne savait pas qui, ni comment; mais que Dieu nous envoie quelque chose de meilleur, car les tailles et les droits nous écrasent.»¹⁴
 

"Les malheureux sont les puissances de la terre; ils ont le droit de parler en maître aux gouvernements qui les néglige."
Saint-Just 

¹ Albert Soboul, La Révolution française, Paris, Gallimard, 1982, p.81.
² Jean-Paul Bertaud, La Révolution française, Paris, Perrin, 2004, pp.24-25.
³ Marx, à propos de ce phénomène de paupérisation  - touchant les brassiers, mais également tous ces petits propriétaires parcellaires contraints de s'engager de façon saisonnière dans les ateliers ou à domicile au profit des marchands-fabricants -, applique la loi de surpopulation qu'il présente dans la section VII, chapitre XXV du livre I du Capital, où l'on trouve un passage des plus parlants et en résonance avec notre propos : «Pour que les districts ruraux deviennent pour les villes une telle source d'immigration, il faut que dans les campagnes elles-mêmes il y ait une surpopulation latente, dont on n'aperçoit toute l'étendue qu'aux moments exceptionnels [la crise des années 1785-1789 étudiée dans la sous-partie précédente en constitue un] où ses canaux de décharge s'ouvrent tout grands.» Alors, rajoute Marx, l'ouvrier agricole «se trouve par conséquent réduit au minimum du salaire et a un pied déjà dans la fange du paupérisme.» Le Capital, Livre I, 1867, in Œuvres I, Economie I, Paris, Gallimard, coll. La Pléiade, 1963, p.1160.
⁴ Graphique d’Ernest Labrousse repris dans Albert Soboul, La civilisation et la Révolution française, I/ La crise de l'Ancien Régime, Paris, Arthaud, 1970, p.462.
⁵ Chiffres établis par Ernest Labrousse, repris par Albert Soboul, op.cit., p.463.
⁶ passage cité dans Pierre Goubert, Michel Denis, Les Français ont la parole, Paris, Gallimard, 2013, pp.119-120.
⁷ Voir dans le livre I du Capital de Marx les sections III et IV portant respectivement sur la plus-value absolue et la plus-value relative. 
⁸ Schéma pris dans Michel Beaud, Histoire du capitalisme, 1500-2010, Paris, ed. Points, 2010 (6e éd.), p.78.
⁹ Albert Mathiez, La Révolution française, Paris, Bartillat (3e édition), 2012, pp.37-38. Mathiez, dans ce passage, dresse un inventaire des torts qui sont faits aux paysans : "Dîmes, cens, champarts, corvées, impôts royaux, milice, toutes les charges s'abattent sur eux. Les pigeons et le gibier du seigneur ravagent impunément leurs récoltes. Ils habitent dans des maisons de terre battue, souvent couvertes de chaume, parfois sans cheminée. Ils ne connaissent la viande que les jours de fête et le sucre qu'en cas de maladie [...]. Les plus à plaindre sont ceux qui n'ont pas réussi à acquérir un peu de terre. Ceux-là s'irritent contre le partage des communaux par les seigneurs [...]. Nombreux aussi sont les journaliers qui subissent de fréquents chômages de se déplacer de ferme en ferme à la recherche de l'embauche. Entre eux et le peuple des vagabonds et des mendiants la limite est difficile à tracer. C'est là que se recrute l'armée des contrebandiers [...] en lutte perpétuelle contre les gabelous [les collecteurs de la gabelle, l'impôt sur le sel]."
¹⁰ passage cité dans Pierre Goubert... op.cit., p.119.
¹¹ Jean Nicolas, La rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale (1661-1789), Paris, Seuil, 2002.
¹² Jean-Paul Bertaud, op.cit., p.25.
¹³ passage cité dans Pierre Goubert, op.cit., p103.
¹⁴ Albert Soboul, La civilisation et la Révolution française, I/ La crise de l'Ancien Régime, Paris, Arthaud, 1970, p.480.
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